Un autre immigrant à Toronto

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Publié 30/01/2007 par Ronald Charles

J’ai laissé Haïti parce que j’avais trop peur. C’était il y a trois ans de cela. Le stress, mêlé à une certaine rage intérieure contre la barbarie, me ravageait. L’intolérable, le cynisme et la cruauté des dirigeants politiques me suffoquaient.

Je devais laisser pour respirer et me retrouver. J’ai choisi de partir trois jours avant la célébration de notre fête d’indépendance. Cela fait déjà deux cent ans depuis que nous sommes indépendants. À mon avis, il n’y avait rien à célébrer. La misère, le chaos, il n’y avait point de place dans ma tête à la fête. J’ai laissé mon enfance en Haïti.

Ma mère et ma soeur y vivent encore. L’appartement de ma soeur a été cambriolé deux semaines de cela. Un parfait cadeau après seulement une semaine de mariage. Ma mère ne se sent plus en sécurité et arpente maison après maison. Je suis maintenant en exil volontaire.

J’ai laissé Haïti mais elle ne m’a pas laissé. Je suis un autre immigrant dans cette grande ville qui va beaucoup trop vite. Je suis un autre immigrant avec des rêves obèses scrutant l’avenir comme un chien qui renifle pour son os.

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Je suis un immigrant dans la neige. Je suis là, timide, à essayer de comprendre. Le soleil dans ma mémoire, le froid dans ma peau, ma chair est éparpillée aux quatre coins du monde. Je suis perdu entre le passé et l’avenir. Je tue le présent dans des rêves incertains. L’immigrant neigé se cherche dans les yeux de l’autre. Des images floues. Il est exilé dans sa peau glacée. L’hiver me tue. Je suis l’esclave du temps mutilé.

Toronto est désormais ma ville, la ville des immigrants, la ville de nos espoirs, la ville qui tue et qui fait délirer. J’arrive ici et l’on me dit que je n’ai pas d’expérience canadienne. Me voici dans un centre d’appel téléphonique pour essayer de survivre. Le temps est éclaté dans ma tête qui se métamorphose. Je suis un robot. Les mêmes rengaines. Mots sans vie pour essayer de gagner sa vie: Allô! bonjour, je m’appelle?

Je m’exile et je me retrouve avec du sable dans le coeur. Mon peuple au quai de la férocité noie son passé dans le sang des rues. J’espère que le sang des innocents enfantera l’aurore, que nous accoucherons des contes et que les enfants sauront alors comment jouer aux enfants.

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