Turquie: une ouverture problématique

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Publié 09/02/2006 par Gabriel Racle

Conformément au calendrier qui prévoyait l’ouverture, le 3 octobre dernier, des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, les 25 ministres des Affaires étrangères des pays membres en ont convenu à Luxembourg, à la date prévue, mais de justesse, en s’en tenant à l’heure britannique, 23 h, même s’il était minuit à Luxembourg. Ce tour de passe-passe était possible, notamment parce que le Royaume-Uni assure la présidence de l’Union européenne (UE).

L’opposition de l’Autriche, hostile à l’entrée de la Turquie dans l’UE et proposant plutôt un statut de partenaire privilégié, avait bloqué l’entente.

Mais le ministre britannique des Affaires étrangères s’était montré inflexible, prêt à plonger l’Europe dans une nouvelle crise politique. Il n’était pas disposé à «trahir la Turquie», selon son expression. Il faut dire que sa position était, soutenue par les États-Unis, dont la Turquie est un allié.

La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, avait même téléphoné au Premier ministre turc pour clarifier la question de la reconnaissance de la République de Chypre. Les militaires turcs redoutaient que Chypre n’adhère à l’OTAN.

«Le cadre des négociations avec l’Union européenne n’interfère pas avec l’Otan: les deux sujets ne sont pas liés», a-t-elle assuré au chef du gouvernement turc.

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Des tractations de coulisse de ce genre semblent avoir joué un grand rôle dans tout le processus. «Ce n’est plus une négociation à vingt-cinq, mais à vingt-six», râlait la délégation française, ravie cependant des difficultés des Britanniques.

L’Autriche aurait obtenu, en compensation de l’arrêt de son obstruction, que des négociations commencent, en vue de l’adhésion de la Croatie, un projet qu’elle soutenait vigoureusement.

De fait, la procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, la suissesse Carla Del Ponte, avait assuré à Luxembourg que «depuis maintenant quelques semaines, la Croatie coopérait pleinement» avec le TPI, une condition sine qua non à l’ouverture de négociations.

«C’est véritablement une journée historique pour l’Europe et pour toute la communauté internationale. Nous sommes tous gagnants», de dire le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw.

«Nous avons franchi un tournant historique. Ce qui est important pour nous, c’est que la perspective d’une adhésion pleine est très claire», a déclaré de son côté le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Les négociations prévues dureront de 10 à 15 ans. «Le résultat de la négociation n’est pas connu d’avance et l’issue reste parfaitement ouverte (…) A tout moment, un État peut arrêter le processus de négociations s’il le souhaite», a insisté le ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy. C’est peut-être le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel, qui explique le mieux la situation: «Pour la toute première fois, nous avons fixé une condition supplémentaire qui sera désormais très importante pour l’avenir de l’Europe, à savoir la capacité d’absorption de nouveaux membres de l’UE (…). Il s’agit désormais d’une condition pleinement concrète.

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Dans l’éventualité où la Turquie ne remplirait pas les conditions, une substitution a été déterminée – dont la formulation est le ‘‘lien le plus fort possible’’ – et la même formule s’applique si l’Union ne peut absorber la Turquie. (…) Pour les citoyens européens, nous avons créé la certitude qu’ils ne pourront pas être laissés à l’écart et que ces négociations ne sont pas le début d’un mécanisme automatique qui ne pourrait être arrêté.» Il y a peut-être de la part de Vienne une réminiscence historique, puisque par deux fois, lors de l’invasion du sud-est de l’Europe par les Turcs, elle a vu ceux-ci arriver à ses portes. À 80 %, la population autrichienne est hostile à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Ses voisins allemands ne sont guère plus favorables, qui s’y opposent à 74 %. Et les Français les suivent de près, qui sont hostiles à cette adhésion à 70 %. «La Turquie n’est pas un état démocratique, c’est encore un pays qui pratique la torture, c’est un pays qui refuse la liberté d’expression», de dire un député français, conseiller de Nicolas Sarkozy, président du parti au pouvoir, qui s’oppose à l’entrée de la Turquie, alors que le président Chirac y est favorable.

Quant à l’ancien président de la République, Giscard d’Estaing, il mentionne que «la France avait un grand projet: l’union politique de l’Europe. On s’aperçoit qu’on a refusé de donner des institutions à l’Europe et qu’on a laissé faire deux élargissements supplémentaires qui vont manifestement transformer l’Europe en grande zone de libre échange», fait-il valoir

«Voilà mon regret. Dans la même année, on aura rejeté la réforme des institutions et accepté sans avoir de Constitution, sans avoir de budget, l’entrée du plus grand pays et du plus pauvre, situé hors du continent européen», dit-il.

Si l’on ajoute qu’un référendum aura lieu en France et en Autriche au sujet de l’adhésion de la Turquie et qu’un «non» bloquerait cette adhésion, on peut se demander ce qu’il en adviendra de ce projet. L’avenir le dira.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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