Titanic: il y aura toujours des erreurs humaines en mer

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Publié 11/04/2012 par Diana Mehta (La Presse Canadienne)

à 16h54 HAE, le 11 avril 2012.

TORONTO – Même s’ils se sont produits à un siècle d’intervalle, les deux tragédies sont étonnamment semblables: un navire qui commence à prendre l’eau, des passagers qui fuient en panique — la confusion généralisée lors de l’évacuation d’un vaisseau en péril.

Un navire a frappé un iceberg, l’autre a été éventré par un récif. Dans les deux cas, les pertes de vies font frémir.

Plus de 1500 personnes sont mortes lors du naufrage du Titanic en 1912. Cent ans plus tard, 32 personnes ont été tuées quand un luxueux navire de croisière, le Costa Concordia, s’est échoué en janvier au large des côtes de la Toscane.

Si le nombre de victimes a été nettement moindre en 2012, l’accident a néanmoins eu l’effet d’une douche froide sur ceux qui croyaient que les catastrophes en mer étaient chose du passé.

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Après 100 ans d’innovations maritimes depuis le naufrage du Titanic, les experts s’entendent pour dire que si la plus célèbre tragédie du genre a entraîné de nombreux changements en mer, la prévalence de l’erreur humaine compte parmi son héritage le plus durable.

«Ce n’est pas une question de construire de meilleurs navires ou d’avoir une meilleure technologie: les gens commettent des erreurs, c’est tout», estime Joe Scanlon, un expert des désastres et des communications d’urgence à l’université Carleton d’Ottawa.

Dans le cas du Titanic, le navire n’a ainsi pas ralenti dans une mer pourtant glacée, il n’y avait pas suffisamment de canots de sauvetage pour tous les passagers, et les opérateurs radio n’étaient pas à leur poste en tout temps.

Ces erreurs ont entraîné plusieurs modifications dans le secteur maritime. Les navires sont maintenant équipés de canots de sauvetage pouvant accommoder tous les passagers, la cabine radio n’est jamais laissée inoccupée, et les bateaux évitent les passages encombrés de glace, avec l’aide de l’International Ice Patrol, mise sur pied après le naufrage du Titanic.

De plus, deux ans après cette catastrophe, les nations maritimes du monde ont adopté la convention internationale «Sauvegarde de la vie humaine» (SOLAS), qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

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Ce qui n’a toujours pas changé, par contre, c’est le rôle que jouent les humains quand survient un pépin. Ceux qui se sont intéressés au Titanic soulignent entre autres le comportement du capitaine, Edward Smith.

«Je pense qu’il n’aurait jamais dû être nommé capitaine, a dit M. Scanlon, avant de rappeler que le voyage inaugural du Titanic devait être le dernier de M. Smith avant sa retraite. C’est un gars qui a frappé des trucs toute sa carrière.»

Dix décennies plus tard, plusieurs épluchent le comportement du capitaine du Costa Concordia, qui fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, pour avoir causé un naufrage et pour avoir abandonné son navire pendant l’évacuation. Il nie toute malfaisance et affirme que le récif qui a condamné son navire n’apparaissait sur aucune carte.

Il est toutefois trop facile de blâmer uniquement le capitaine, estime Norm Lewis, fondateur et président de la Société canadienne du Titanic, qui rappelle qu’une confiance exagérée envers la technologie demeure encore la norme.

«Avec le Costa Concordia, a-t-il dit, je pense qu’ils commettent un peu la même erreur qu’en 1912. Ils pensent que la technologie moderne leur permet de faire ceci ou cela.»

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Plusieurs experts s’entendent cependant pour dire qu’on devra accorder plus d’attention au facteur humain à l’avenir.

«En tant que société, nous avons réussi à éliminer, avec l’ingénierie, plusieurs des risques associés à l’industrie maritime», a dit le capitaine Jim Parsons, directeur académique de l’Institut des pêches et de la marine de l’université Memorial de Terre-Neuve, qui met en garde contre une confiance exagérée à l’endroit de la technologie. «Quand on examine la cause des accidents, on remonte souvent jusqu’à l’exploitant, à la complaisance ou à un manque de formation.»

Il souligne aussi l’impact des considérations financières.

Par exemple, lors du naufrage dans l’Antarctique du MV Explorer en 2007, les canots de sauvetage étaient à ciel ouvert, alors qu’ils auraient clairement dus être couverts en raison du climat, rappelle-t-il.

«On tend à toujours en revenir à des mesures de réduction des coûts, affirme le capitaine Parsons. C’est ce qui n’a peut-être pas changé depuis 100 ans: on a tendance à mettre la sécurité de côté pour empocher un plus gros profit.»

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Les représentants des croisiéristes rétorquent que la sécurité des passagers est au sommet de leurs préoccupations. Ils rappellent ainsi que des exercices d’urgence ont lieu à bord avant de larguer les amarres, que des inspections de sécurité sont réalisées et que les navires sont escortés par des bateaux-pilotes dans les ports nord-américains.

Mais au moins un détracteur accuse les croisiéristes de manquer de transparence.

«C’est similaire à ce qu’on a vu il y a 100 ans avec le Titanic. À l’époque, on vantait le fait qu’il était impossible à couler et il y avait une certaine arrogance, a dit l’analyste Ross Klein, gestionnaire du site CruiseJunkie.com. On voit la même arrogance aujourd’hui quand on entend les gens de l’industrie dire: ‘Nous sommes le moyen de transport commercial le plus sécuritaire’.»

En plus des grandes catastrophes, même les navires les plus luxueux sont le théâtre de vols, de voies de fait et même d’agressions sexuelles, sans parler des maladies contagieuses qui s’y répandent comme une traînée de poudre.

«C’est un environnement artificiel, explique M. Klein. Vous avez un anonymat total et donc vous pourrez avoir à bord d’un navire de croisière un comportement que vous n’auriez jamais chez vous.»

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Ultimement, M. Klein croit que les croisiéristes doivent demeurer vigilants et faire preuve de plus de transparence concernant les risques associés à des navires qui accueillent de plus en plus de passagers.

«Nous nous sommes améliorés dans certains secteurs mais je crois que règle générale, il n’y a pas vraiment eu d’amélioration, a-t-il lancé. On peut avoir toutes les règles et tous les règlements du monde, mais si les gens ne s’occupent pas du navire, nous n’avons rien appris.»

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