En 1883, Jules Verne, auteur des «Voyages extraordinaires», publie Kéraban le têtu, un roman qui raconte les aventures d’un riche marchand de Constantinople qui refuse de payer aux autorités ottomanes un droit de passage du Bosphore et fait le tour de la mer Noire pour rentrer chez lui. Que ne dirait aujourd’hui l’auteur de ce personnage entêté, devant des tensions autrement plus sérieuses au voisinage de la mer Noire.
Charnière entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient, la mer Noire occupe un espace stratégique où se concentrent de nombreux enjeux d’importance mondiale. Mer continentale presque fermée, la mer Noire ne communique avec la Méditerranée que par les détroits du Bosphore et des Dardanelles.
Elle est entourée par l’Ukraine, la Russie, la Géorgie, la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie. Son nom viendrait de l’attribution asiatique de couleurs aux points cardinaux: noir pour le Nord, blanc pour l’Ouest, rouge pour le Sud et vert pour l’Est. Cette mer au nord de la Turquie a reçu le nom de mer Noire, comme la Méditerrané est la mer Blanche en turc.
Déjà du temps des tsars, l’accès à cette mer «chaude» revêtait une grande importance. Pierre le Grand (1682-1725), qui rêvait de relier la mer Caspienne à la mer Noire par un canal, s’empare de la mer d’Azov en 1696 et l’impératrice Catherine II poursuit son œuvre en conquérant la Crimée et en battant les armées turques. C’était la fin de l’isolement russe.
Avec le régime soviétique et la guerre froide, c’était un «lac soviétique», puisque seule la Turquie faisait exception. Une importante flotte était basée en Crimée. Mais les bouleversements entraînés par la chute du mur de Berlin, la disparition de l’URSS (1991), les «révolutions» en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004), ont profondément changé la donne. Pour la Russie, qui ne contrôle qu’une étroite bande côtière, il s’agit d’un recul géopolitique important.