Témoignage du dernier survivant homosexuel de la déportation nazie

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Publié 20/07/2010 par Paul-François Sylvestre

Né en Allemagne de parents tchèques, Rudolf Brazda a accepté, à l’aube de ses 97 ans, de témoigner sur les répressions et sa déportation à Buchenwald, pour motif d’homosexualité. Dernier survivant homosexuel de Buchenwald, il s’est confié à Jean Luc Schwab qui a coécrit Itinéraire d’un Triangle rose.

De la montée du nazisme en Allemagne à l’invasion de la Tchécoslovaquie, de l’insouciance du début des années 1930 à l’horreur du camp de Buchenwald, cet ouvrage révèle – et c’est une première – le détail des enquêtes policières ayant visé de nombreux homosexuels dans l’État nazi.

Dès 1871, l’Empire Allemand s’était doté d’un code pénal dont le paragraphe 175 stipulait que «la débauche contre nature, commise entre personnes de sexe masculin, ou entre l’homme et l’animal, est passible d’emprisonnement; elle peut aussi entraîner une déchéance des droits civiques». Sont condamnés les actes ressemblant au coït.

En 1935, l’expression «débauche contre nature» est remplacée par «débauche» seulement mais son champ d’application est plus étendu et englobe «la masturbation mutuelle ou le simple contact entre le membre en érection d’un homme et toute partie du corps d’un autre».

Elle condamne aussi les personnes consentantes.
Au début des années 1930, Berlin était devenu le haut lieu d’amusement et de détente pour les homosexuels de toute l’Europe.

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Leipzig avait son café-restaurant New York, très prisé des homosexuels. Rudolf Brazda – 1,60 mètre, cheveux blonds, yeux bleus, tantinet efféminé – fréquente ce café et rencontre un dénommé Werner avec qui il a des relations. Les deux hommes se donnent des prénoms féminins, soit Inge pour Rudolf et Uschi pour Werner.

Rudolf est arrêté une première fois et condamné à six mois de prison en 1937. La chasse aux homosexuels s’intensifie par la suite et Rudolf est de nouveau arrêté en 1942, puis conduit au camp de concentration de Buchenwald.

Il n’est plus que le matricule 7952. Au-dessus de ce matricule figure un petit triangle de tissu rose.

Chaque prisonnier arbore un triangle, porté la pointe en bas. La couleur est en fonction du motif de détention: le rouge des prisonniers politiques, le noir des asociaux, le vert des criminels de droit commun, le rose pour stigmatiser les homosexuels.

Pour les détenus juifs, c’est une étoile jaune, parfois bicolore (triangle jaune et triangle de couleur correspondant à un deuxième motif de déportation).

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«Le camp de concentration, écrit Jean-Luc Schwab, c’est la déshumanisation, l’humiliation. Personne n’est au-dessus des brimades et de l’arbitraire des SS.»

Cela commence avec le langage, avec la devise du camp: À chacun son dû. C’est on ne peut plus clair; les prisonniers sont forcément coupables.

Les prisonniers sont des proies de choix, notamment pour les expériences du médecin danois Carl Vaerner, nazi convaincu, qui expérimente des traitements d’inversion de polarité sexuelle chez les homosexuels.

Comment Rudolf fait-il pour tenir face aux sévices et aux cruautés? «Il y a les amitiés solides, la solidarité, l’entraide et l’humanité qui prennent le dessus sur la barbarie.»

À son arrivée à Buchenwald, Rudolf a 29 ans et compte parmi les plus jeunes détenus. La plupart ont entre 31 et 60. Mais à la fin de 1943, ce sont 65% des détenus qui ont 30 ans ou moins.

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Au milieu de cette «jeunesse», les kapos trouvent leurs favoris. Les kapos sont des détenus menant un kommando ou investis d’une part d’autorité dans la vie du camp.

Les jeunes biens de leur personne sont surnommés les puppenjunge ou jeunes hommes poupées. Ils profitent d’un régime privilégié en échange de leurs faveurs.

Plusieurs détenus les envient car ils aimeraient eux aussi «servir d’amusement sexuel au doyen de baraquement, plutôt que de crever. Même s’ils ne sont pas homosexuels, tout est bon ici pour améliorer son quotidien, y compris son corps.»

Les déportés homosexuels représentent moins de 1% des détenus. Ils étaient 75 à la fin de l’année 1942, ils sont 189 fin 1944. En tout, entre 1937 et 1945, ils seront environ 500 à porter le triangle rose.

Mais il y aussi les homosexuels déportés pour un autre motifs, qui ne sont pas comptabilisés. À Buchenwald, la stèle inaugurée en 2006 pour commémorer le martyre des homosexuels porte le chiffre de 650.

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Rudolf Brazda est libéré en avril 1945. Il suit un ami jusqu’en France mais ne sera naturalisé français qu’en 1960.

Il rencontre un homosexuel de 18 ans, Edi, et vit avec lui pendant plus de cinquante ans. Soit jusqu’à la mort de ce dernier.

En 1965 Rudolf et Edi se rendirent à Buchenwald. De terribles souvenirs sont remués mais Rudolf confie à son amant: «Qu’importe maintenant! Nous sommes ensemble et c’est tout ce qui compte.»

Rudolf a pu continuer de vivre après l’enfer de Buchenwald en raison de son grand optimisme, de sa capacité à ne voir que le bon côté des choses.

En conclusion, cet ouvrage nous apprend que, «quoique minoritaire dans les chiffres, la déportation pour motif d’homosexualité faisait l’objet d’une catégorisation spécifique, symbolisée par le triangle rose.

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Les estimations les plus récentes font état d’un total de 
10 000 déportés dont 40% seulement survécurent.»

Jean Luc Schwab et Rudolf Brazda, Itinéraire d’un Triangle rose, Paris, Éditions Florent Massot, 2010, 256 pages.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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