«Tant pis pour nous!»

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Publié 07/04/2009 par Pierre Léon

Il est six heures. C’est l’heure de l’apéritif. Après une journée de travail et de tension, un bon verre de vin ou un petit scotch va vous donner l’euphorie nécessaire pour finir la journée et peut-être vous endormir devant la télévision ! Nous sommes bon nombre à être ainsi des drogués.

La drogue est une substance sédative, comme l’alcool, l’opium, le haschich, ou excitante, comme le café, le thé, la cocaïne. Le vin peut aussi commencer par exciter avant d’endormir. Il y a des drogues nécessaires pour calmer la douleur ou rétablir une fonction physiologique. La médecine moderne nous comble de ce côté-là.

Les vieilles gens finissent leur vie avec des sacs de pilules. Une pour la tension, une pour la mémoire, une pour l’équilibre, une pour la vue, une pour le rhume, deux pour le cœur, trois pour la sciatique, quatre pour les rhumatismes… Certaines personnes font de leurs remèdes une pratique sacro-sainte.

«Ça, c’est tout de même meilleur!»

Il y a des rites ! Je revois mon grand-père avec sa boîte de Lithinés du Docteur Gustin, destinés à calmer les maux d’estomac que lui infligeait l’abus du bon vin. C’était toute une cérémonie de le voir ouvrir, comme un trésor, la boîte de métal contenant les fameux sachets.

Il en versait deux dans un verre d’eau, qui se mettait à pétiller. Cela fait, il avalait le breuvage en faisant la grimace. Un verre de rouge suivait avec commentaire: «Ça, c’est tout de même meilleur !»

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Ensuite, il avait toute une kyrielle de pilules qu’il disposait autour de son verre. Elles ponctuaient son repas. En vieillissant à mon tour, je me suis aperçu que mon grand-père ne serait pas une exception aujourd’hui, quand je vois les gens étaler leurs multiples drogues avant de commencer le moindre repas.

Verlaine s’enivrait surtout à l’absinthe mais, comme Baudelaire, Gautier et Rimbaud, il se se droguait aussi au haschich. D’autres comme Maupassant utilisaient l’éther. Il en est mort dans une crise de folie.

Dieux, que c’était beau !

Les drogues bloquent l’hémisphère gauche du cerveau, celui de la raison, au profit de l’hémisphère droit, celui des émotions. La drogue, malgré ses dangers, apparaît aux yeux des psychologues et surtout des artistes et des poètes comme un moyen d’exploration mentale stimulant l’imagination et créant des mondes extraordinaires, tels ceux de Dali en peinture.

Toutes sortes de plantes sont des drogues en puissance, depuis le chanvre (cannabis), qui donne le haschich, jusqu’au pavot, qui fait l’opium, en passant par le coca, qui produit la cocaïne et la modeste feuille de laurier qui a si bon goût dans les sauces mais dont une décoction est toxique.

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Je me rappelle avoir eu une belle hallucination après m’être régalé d’une cuisine de coprins non chevelus. Ces petits champignons fragiles coiffés d’un chapeau vietnamien ne sont bons que le jour de leur éclosion. Après, leurs lamelles noircissent et on en fait de l’encre de chine. J’avais eu la mauvaise idée d’arroser mon repas de champignons d’un bon chinon.

Au bout d’un moment, le mélange vin/coprins a été terrible. Je me suis endormi d’un sommeil psychédélique où je voyais défiler les images surréalistes 
d’Une Saison en Enfer, dans un débordement de couleurs inimaginables. Dieux, que c’était beau ! Je n’ai jamais osé recommencer et j’en ai quelques regrets.

On doit devenir vite dépendant après des expériences de ce genre, comme le sont tous les drogués du monde. Obama aura bien du mal à convaincre les Afghans de cesser la culture du pavot – 60 % de leurs revenus – pour se mettre à l’agriculture que vont leur enseigner les fermiers du Middle West.

Le pavot est une bien jolie fleur, ses graines sont délicieuses, on en garnit les pâtisseries, les feuilles font d’excellentes salades. Dommage que la sève donne l’opium, si dangereux. Mais la médecine en tire la morphine, la codéine et d’autres substances sédatives.

Le monde moderne a d’autres drogues. Le travail forcené de la personne qui veut réussir au bureau. Mais aussi le portable et ses jeux. Les gens qui se font écraser en téléphonant lorsqu’ils traversent la rue tout à leur bavardage, sont de plus en plus nombreux. L’ordinateur est source de drogues: courriels, blogs, facebook, twisters…

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Tant pis pour nous

La prière reste une drogue douce. Elle endort le moine, la nonette et tous les malheureux qui croient en un dieu consolateur. Je me rappelle toujours avec émotion les processions autour de l’église de mon village. En particulier, celle des rogations, pour demander de l’eau en été et remercier Dieu de faire pousser les carottes malgré la chaleur.

Le curé allait devant avec un enfant de chœur portant la croix, derrière venait la longue file des paroissiens. Le curé égrenait le nom de tous les saints, parfois d’une voix montante, suppliante: Saint Pierre? Saint Paul? Sainte Marie? … À chaque nom, on répondait, à l’unisson, sur un ton descendant, endormi mais affirmatif: Priez pour nous!

Or il y avait deux petites filles, devant moi, qui savaient la chanson de cette drogue religieuse, mais elles en avaient transformé les paroles, selon un patron qu’elles connaissaient bien: Tant pis pour nous !

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