Tafelmusik: la révolution Beethoven!

La Neuvième à Koerner Hall

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Publié 05/04/2011 par Dominique Denis

Il y en a quelques-uns, parmi les mélomanes torontois, qui ont dû être surpris de constater que la prochaine série de concerts de leur orchestre baroque préféré, Tafelmusik, n’aurait pas lieu dans l’enceinte familière de l’ancienne église Trinity St. Paul, mais bien à Koerner Hall, notre plus nouvelle – et plus somptueuse – salle de concert.

Si ce déménagement, même provisoire, est motivé par des considérations pratiques (accueillir plus de musiciens et de choristes sur scène – et plus de spectateurs dans la salle!), il convient d’y voir aussi un passage symbolique: en effet, c’est avec la Neuvième, complétée en 1824, que Beethoven annonça catégoriquement que le XIXe siècle était arrivé. Après s’être imposé comme le prolongement logique de Mozart et Haydn, il ouvrait la voie aux grandeurs de Brahms et du Romantisme. Une pareille révolution, pour s’épanouir, ne pouvait s’accomoder d’un espace exigu!

La Neuvième tant attendue de Tafelmusik marque aussi la culmination d’un travail entamé par l’orchestre il y a plus de douze ans. Bien sûr, il ne s’agit pas de la première fois qu’un orchestre baroque s’attaque à Beethoven, mais pour le public torontois, plus habitué aux versions du TSO, l’approche de Tafelmusik a fait l’effet d’une révélation.

Les symphonies de Beethoven sont jalonnées de moments charnières: la Troisième annonçait la fusion du langage musical et des discours littéraire et pictural; la Septième et son déchirant Alegretto explorait un espace émotionnel jusque là insondé.

Pourtant, c’est avec la Neuvième que Beethoven marquait irrévocablement l’indépendance de l’Artiste face aux contraintes et aux conventions de son temps.

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«À l’époque, la création de la Neuvième était un événement», rappelle la violoniste Geneviève Gilardeau, qui en est à sa 13e saison avec Tafelmusik.

«C’était la première fois que des voix étaient intégrées à une symphonie, et Beethoven y poussait toutes les frontières. Il y a des moments où les cordes de boyau vibrent à la limite de leurs capacités. Lors de la première, les instrumentistes et les chanteurs lui disaient que c’était presque impossible à jouer, mais Beethoven leur répondait que tout ce qui comptait, c’était la musique qu’il avait dans la tête. Ses audaces ont influencé tous les compositeurs qui ont suivi, et en fin de compte, ce sont les instruments qui ont dû évoluer.»

Mais nos oreilles ont si longtemps été habituées aux lectures grandioses que nous ont livré Karajan, Bernstein et Kleiber à la tête d’orchestres rompus aux techniques et aux exigences du répertoire des XIXe et XXe siècles, qu’il est devenu difficile d’imaginer à quel point cette musique était dangereuse, non seulement pour l’ordre établi de l’époque, mais aussi pour ses exécutants. Et c’est précisément cet élément de danger que nous restituent les lectures de Tafelmusik.

«En jouant la Neuvième sur instruments d’époque, on retrouve l’idée que c’était une musique vraiment provocatrice», rappelle Geneviève Gilardeau.

«Et le fait que les instruments sont poussés à l’extrême ajoute quelque chose à l’intensité de la performance, et qu’on ne retrouve pas avec les orchestres conventionnels.» Pour Tafelmusik, le grand plongeon beethovenien ne s’est pas fait sans filet. Leur quête d’authenticité est encadrée par un chef des plus méticuleux, Bruno Weil.

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«Bruno est un puits de connaissances et de science », s’émerveille Gilardeau. Sa façon d’analyser la partition est tellement intelligence qu’elle nous fait mieux comprendre la musique, et il sculpte les œuvres avec une telle précision!»

Le même souci de fidélité trouve un écho dans le travail d’Ivars Taurins, le chef du chœur de Tafelmusik.

«Ivars est très intéressé par les questions d’authenticité. Il a fait beaucoup de recherche sur la diction de l’Allemand à l’époque de Schiele, qui a écrit le poème de l’Hymne à la joie», précise la soprano Francine Labelle, qui chante au sein du chœur depuis 1995.

«Ça donne quelque chose de différent de ce qu’on est habitués d’entendre.»

Et qu’en est-il de l’après-Beethoven pour Tafelmusik? Discute-t-on, dans les rangs, des prochains sommets à escalader? «Ah, ça, on en parle, c’est sûr!», rigole Geneviève Gilardeau.

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«Pour les violons, ça va, puisque l’instrument s’est développé assez vite. Mais c’est au niveau des instruments à vent qu’il y a certains défis techniques. Mais on a déjà joué Schubert et même Rossini, qui se prêtent assez bien aux instruments anciens.» Et, selon Francine Labelle, «On peut très bien imaginer mettre la technique et l’expertise baroques au service des symphonies de Brahms. La principale audace de Tafelmusik, c’est d’avoir su toucher à différents répertoires sans compromettre son intégrité artistique.»

La Neuvième symphonie de Beethoven, par Tafelmusik, à Koerner Hall (273, Bloor Ouest), du 7 au 10 avril. Billets: 416-408-0208

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