Suite moutonnière

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 20/05/2008 par Pierre Léon

Amenez les moutons!
Amenez les moutons!
(Sur l’air de À Ménilmontant!)

Mouton! Mouton me fait toujours penser a un mémorable après-midi, un dimanche, juste après la guerre, à l’unique cinéma de Nanterre, banlieue ouvrière de Paris.

En ce temps-là, il y avait en première partie les actualités de la semaine et un documentaire. Puis un entracte pendant lequel les placeuses vendaient des friandises, sur le même air: «Bonbons! Pastilles de menthe, caramel, chocolats glacés»! Apparaissait alors un amuseur qui allait raconter quelques blagues et pousser deux ou trois airs populaires. La salle les reprendrait en chœur.

Ce jour-là, après Nini Peau de chien et Le petit vin blanc, le chanteur s’adresse à son public – presque uniquement des Maghrébins pas encore très forts en français – et demande de proposer un titre pour la prochaine romance. La salle toute entière scande d’une seule et puissante voix: «Les moutons! Les Moutons! Les Moutons!»

Le chansonnier, interloqué, avoue:
– Celle-là, j’la connaît pas!
– Mais si, mais si ti la sais bien! Et la foule entonne: «Am’nez les moutons, am’nez les moutons!», sur l’air de À Ménilmontant!

Publicité

Tout le monde y allant de bon cœur, on a refait la goualante de Bruant, pour réjouir les bons mangeurs de méchoui.

Mais «Revenons à nos moutons!», comme disait le Dindenault de Rabelais à Panurge. D’aussi loin que je me souvienne, je revois, sur le vitrail d’une église de mon enfance, l’agneau que tenait en ses bras Jésus. Du moins je suppose que c’était lui. Un grand beau jeune homme, avec de longs cheveux de hippie sur les épaules, l’air un peu triste, avec une grande croix noire, qu’il portait négligemment, un peu de travers.

Il avait au-dessus de la tête une auréole, ce qui renforçait l’idée qu’on avait bien affaire à quelqu’un de divin et non à un quelconque marchand de moutons.

On finissait par se dire qu’il s’agissait bel et bien, symboliquement, du pâtre céleste, berger du troupeau chrétien.

Je me suis toujours dit que cet agneau du Christ devait être bien jeune et sous le charme divin pour avoir l’air si doux. Contrairement à l’idée reçue, cet animal n’est pas un modèle de douceur très longtemps. Ceux de son espèce que j’ai fréquentés m’ont appris qu’ils ont vite l’humeur indépendante et deviennent rapidement obstinés, vachards, donnant des coups de tête pour rien.

Publicité

Un été, en Touraine, j’avais eu la prétention d’en élever quelques uns, dans un vaste enclos, derrière ma maison. Le terrain était en friche, plein de chardons bleus. Je m’étais dit que mes moutons allaient brouter tout ça et me faire du gazon anglais. Ah! La la! Ils ont tout de suite montré leur indiscipline en sautant par-dessus les barrières, renversant tout ce qui se trouvait être un obstacle pour atteindre la maison.

Dans le genre épineux, ils n’ont apprécié que mes rosiers, laissant seulement les racines.

Un soir où nous avions du beau monde de passage à dîner, dans la salle à manger donnant sur la terrasse, un des hôtes qui avait mis son plus beau complet et son nœud papillon, pâlit et me dit :
– Cher ami, je crois que nous avons de la visite.

Tout le mode se retourne et voit, aux vitres de la porte-fenêtre, quatre têtes de mes fameux moutons.

– Ne cherchez pas les autres, ajoute quelqu’un, ils sont dans la salle de séjour.

Publicité

Ils y étaient, en effet, broutant allègrement les coussins d’un canapé. La glace était rompue. La chasse au mouton collective a commencé et les dames regrettaient de ne pas avoir des jupes courtes.

La traversée du jardin a donné l’occasion de voir renverser, briser, saccager, piétiner tout ce qui pouvait l’être, pots en terre, dames-jeannes et parterres.

Un jeune bélier, déjà superbement encorné, n’arrêtait pas de donner le mauvais exemple. Dès qu’il faisait une bêtise, les autres suivaient.

Un jour, j’en ai eu assez. Le boucher est venu les chercher. Mais avant qu’on puisse les attraper, ils se sont précipités dans la longue descente de l’allée d’une cave où l’on rangeait les bouteilles vides. Il y en avait des centaines, sur des égouttoirs. Le troupeau a tout renversé et fracassé. Je me revois encore remontant l’allée de la cave, traîné à plat ventre par le bélier dont j’avais attrapé les pattes arrière, après un placage. Comme au rugby.

Maintenant, si je n’arrive pas à trouver mon sommeil, je peux toujours compter des moutons, ça ne m’aide plus à m’endormir!

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur