Souverainistes britanniques

Les 28 pays de l'Union européenne actuelle.
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Publié 24/06/2016 par François Bergeron

Les souverainistes québécois n’imaginaient pas qu’ils allaient un jour célébrer la Saint-Jean-Baptiste en trinquant à la santé des Britanniques.

52% des sujets de Sa Majesté ont voté le 23 juin pour quitter l’Union européenne, à la suite d’une campagne référendaire à la québécoise où, cette fois, «l’argent et les votes ethniques» ont été battus.

Le premier ministre conservateur David Cameron va démissionner. L’Écosse pourrait tenir un second référendum pour se séparer de l’Angleterre et rester dans l’UE. Des voix s’élèvent en Irlande du Nord pour se détacher du Royaume et s’unir enfin à la République afin de rester membre de l’UE.

Le chef travailliste Jeremy Corbyn, un vieux radical de la même farine que Bernie Sanders, se retrouve lui aussi dans le camp des perdants, ayant fait campagne pour rester dans l’UE, tout comme le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan.

L’ex-maire de la capitale, l’impétueux Boris Johnson à l’impressionnante tignasse blonde, parfois comparé à Donald Trump, est pressenti pour diriger les Conservateurs et piloter le retrait du pays de l’UE.

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L’étoile du chef du parti anti-européen UKIP, Nigel Farage, est au zénith, bien que, comme le Bloc québécois à Ottawa après une victoire du «oui» à la séparation, il n’aurait plus de raison d’être.

Les nationalistes français (Marine Le Pen) et néerlandais (Geert Wilders) peuvent désormais citer l’exemple britannique en appui à leur promesse de sortir leur pays de l’UE. Partout, les appels à une introspection et à la réforme de la fédération se multiplient.

Jusqu’aux derniers jours de la campagne référendaire britannique, on croyait (moi aussi) que la «prudence» allait l’emporter, comme au Québec, en Écosse et ailleurs.

La Grande-Bretagne, après tout, est l’une des trois grosses économies du vieux continent: sortir de l’UE ne se fera pas sans perturbations. L’anglais est pratiquement déjà la langue commune de l’Europe: quand des Suisses germanophones, francophones et italophones se rencontrent, ils se parlent en anglais! Quand on voyage en Scandinavie, en Allemagne ou en Grèce, on peut se faire servir en anglais presque partout. Et ne me parlez pas des Français qui se pensent plus intelligents quand ils truffent leur  vocabulaire de mots anglais…

La Grande-Bretagne conservait sa monnaie et n’adhérait pas à «l’espace Schengen» sur l’abolition des frontières. Comme la Suisse, la Norvège et l’Islande, qui ne sont pas membres de l’UE, elle avait le beurre et l’argent du beurre…

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De toute évidence, cela n’a pas été suffisant pour calmer les inquiétudes des Anglais qui voyaient en l’UE – fondée pour garantir la paix sur le continent après deux grandes guerres au 20e siècle – une bureaucratie tentaculaire s’éloignant de ses missions fondamentales: promouvoir le libre-échange et repousser les invasions barbares.

L’assassinat de la parlementaire travailliste Jo Cox par un nationaliste fanatique, une semaine avant le vote, aurait dû aider le camp du «remain». Doit-on admettre aujourd’hui que le score du «leave» aurait été encore plus élevé sans cet événement tragique? Ou, au contraire, que les hyperboles assimilant toute velléité souverainiste au racisme ou à l’inculture des gens ordinaires ont suscité une réaction contre cette arrogance des élites bien-pensantes?

On a commenté que «l’émotion» l’a emporté sur la «raison» – ce qui met à mal le stéréotype des Britanniques froids et flegmatiques.

On se félicite généralement du contraire (Québec, Écosse, etc.), et je préfère, moi aussi, voir la raison triompher de l’émotion… Mais pourquoi au juste? L’émotion (ici le nationalisme, la volonté de préserver sa culture) n’est pas intrinsèquement moins vertueuse que la raison (les accommodements existants entre la Grande-Bretagne et l’UE, la stabilité économique). L’émotion est un pôle de la nature humaine aussi indispensable que la raison.

L’émotion (alias la démagogie) gagne d’ailleurs souvent contre la raison dans nos démocraties. Sinon, Donald Trump et Bernie Sanders ne se seraient jamais rendus aussi loin, Stephen Harper serait encore premier ministre, et on ne permettrait pas à David Suzuki de faire peur aux enfants.

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L’échec de l’Union européenne est aussi celle d’une «émotion», c’est-à-dire d’un idéal, un pays-continent appelé à devenir des «États-Unis d’Europe», rattrapée ici par la réalité (la «raison»?) qui est celle d’un ensemble de nations trop différentes les unes des autres pour rester soumises à des institutions communes aussi byzantines que celles de Bruxelles.

L’Europe doit redevenir le projet exaltant (encore de l’émotion…) d’un espace de liberté pour ses citoyens et d’épanouissement pour ses cultures.


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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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