Pour bien des gens, Soho, c’est l’évocation d’une certaine bohème new-yorkaise, c’est l’art vécu au quotidien, capté au vol, bref, c’est l’esprit du jazz. C’est aussi l’enclave de Manhattan où, en 2005, le pianiste québécois Yves Léveillé a jeté les bases de son plus récent album sur étiquette Effendi, lors d’un séjour de six mois. Pourtant, il serait sans doute risqué de vouloir entendre dans les neuf plages de Soho des échos directs de la Grosse Pomme, d’y déceler énergie caractéristique que le pianiste n’aurait pu canaliser d’une autre source.
Car il faut reconnaître qu’on retrouve ici Léveillé fidèle à lui-même, c’est-à-dire en rigoureux architecte d’une œuvre qui s’épanouit à l’intérieur de structures calculées avec soin, dans le but d’exploiter une palette instrumentale précise – tel passage des anches à l’unisson, tel solo de trompette, tel échange entre vents et piano. Pareil alliage de rigueur et de liberté, vous me direz, est l’essence même du jazz (ou devrait l’être), mais un artiste comme Léveillé pratique cette interpénétration de l’écriture et de l’improvisation avec un souci d’équilibre qui devient le point focal de la musique, nous faisant pardonner les occasionnelles pannes d’inspiration de ses solistes (comme ce baryton pataud qui gâche Érosion, exercice de jazz fusion acoustique aux échos du Bitches Brew de Miles Davis)
Et pour chaque concession aux clichés (le calypso facile de Parade, qui pique sa recette chez Sonny Rollins), Léveillé se rachète par une écriture des plus élégantes, qui canalise par moments l’esprit des impressionnistes dans une palette bleu nuit.
L’éternelle jeunesse du vieux carré
Si New York est le nombril du monde du jazz, alors la Nouvelle-Orléans en est la source vive. C’est aussi une des seules villes d’Amérique du Nord à posséder sa propre musique, comme le rappelle fort justement Branford Marsalis, dont l’étiquette Marsalis Music vise à documenter cet héritage hybride, qui refuse obstinément, malgré ses associations touristiques, de se conjuguer à l’imparfait.
Sûr, ce Chanson du Vieux Carré de son pote Harry Connick Jr. (Marsalis Music/Rounder/Universal) -comprend une large part d’inoxydables signés Louis Armstrong (Someday You’ll Be Sorry), Sidney Béchet (Petite Fleur) ou encore Professor Longhair (Mardi Gras In New Orleans), mais les arrangements à saveur résolument ellingtonienne – pour 17 musiciens, le grand luxe! – donnent lieu à toutes sortes d’audaces harmoniques, et les compositions de Connick s’intègrent tout naturellement à ce discours où s’entrelacent mystère, muscle et mélancolie.