Sommes-nous aussi tolérants que nous le pensons?

Le multiculturalisme au Canada

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Publié 07/03/2020 par Natalie El-Rifai

Le climat politique mondial semble régresser vers une intolérance marquante envers la diversité.

Les événements comme l’élection de Viktor Orban en Hongrie, qui a gagné avec ses attitudes xénophobes envers les «étrangers», perturbent le monde et ouvrent la voie à l’incertitude quant à notre progrès vers l’égalité.

De plus en plus, on voit les conséquences de la tyrannie majoritaire et de l’intolérance envers les immigrants ou les «étrangers». Le Brexit et le phénomène Trump en sont des exemples. Cette nouvelle ère de divisions nationales, facilitée par des stratégies politiques qui tentent d’effacer la diversité, nous rend vraiment mal à l’aise.

Le Canada semble offrir un paradis de tolérance envers la diversité culturelle, voire un refuge pour ceux qui cherchent à échapper à l’injustice. Nous présentons une image d’un pays qui assure que chaque individu sera accepté et intégré dans la société — qu’il y a une place pour tout individu, peu importe son ethnicité, religion ou orientation sexuelle.

Et on a un beau premier ministre qui sourit beaucoup et assure qu’on s’aime tous et que tout va bien. Nous sommes les champions de la tolérance, n’est-ce pas ?

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Pas exactement.

Multiculturalisme officiel

Comme vous le savez sûrement, Pierre Elliott Trudeau avait fait adopter le multiculturalisme à la Chambre des communes en 1971, établissant la notion qu’aucune identité culturelle ne sera dominante au Canada.

L’objectif était l’intégration dans la société canadienne, mais ce n’est pas nécessairement ce que vivent les minorités au Canada, particulièrement les non-blancs.

Beaucoup de Canadiens semblent avoir un fort sentiment d’identité et sont protecteurs de cette identité lorsqu’ils croient qu’elle est menacée.

Chez les francophones du pays, plus particulièrement chez ceux du Québec, le multiculturalisme est souvent perçu comme une menace. Plusieurs Québécois accusent même Trudeau (père et fils) d’avoir oublié la spécification nationale du Québec en la «noyant dans la mosaïque canadienne».

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Et que dire de la noyade de l’identité autochtone, par exemple, si nous voulons parler de l’importance des cultures «fondatrices»?

Fondateurs = dominants?

La loi québécoise sur la laïcité de l’État («Loi 21») représente une tactique typique pour cibler des groupes spécifiques et les rejeter comme citoyens de seconde classe.

Ironiquement, ce sont ces «politiques de peur» qui mènent réellement à la désintégration sociale.

De tous les groupes distincts de la société canadienne aujourd’hui, les musulmans sont les plus considérés comme les «autres», car on trouve qu’ils sont les plus résistants à s’intégrer. Comme l’histoire le démontre, ceci veut habituellement dire qu’un groupe est résistant à être assimilé.

De nombreux Canadiens pensent que les minorités devraient faire plus d’effort pour mieux s’intégrer à la société canadienne dominante. Mais ce qui semble faire consensus, c’est que le multiculturalisme est bon pour l’économie.

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Le multiculturalisme et les politiques d’immigration «progressistes» font partie d’une stratégie qui fonctionne. L’acceptation des immigrants aide le pays à répondre à ses besoins économiques et à augmenter la population.

Le racisme perdure

Mais pour les immigrants, qui sont sélectionnés pour leurs compétences, «l’intégration» ne fonctionne pas avec autant de succès. Ils ne sont pas vraiment soutenus par l’État pour assurer leur intégration.

C’est pour cela que les minorités en ont assez de l’image du Canada comme paradis multiculturel: c’est une utopie.

Si des centaines de milliers d’immigrants et leurs descendants sont véritablement canadiens, pourquoi les médias doivent-ils encore compter le nombre de politiciens non-blancs élus à chaque cycle politique?

Pourquoi y a-t-il des gens qui ne veulent être traités que par des médecins blancs?

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Pourquoi est-ce que les musulmans canadiens se sentent encore obligés de dénoncer chaque nouvel acte de terrorisme commis par quelqu’un de leur groupe religieux, comme si le criminel est un membre direct de leur famille?

Premières générations reconnaissantes

Malgré tous ces défis, de nombreux immigrants partagent l’attitude de mes parents à l’égard de leur pays adoptif: ils sont extrêmement reconnaissants.

Et je comprends pourquoi. Pour mes parents, originaires du Liban, où il n’y avait aucune garantie quant à l’exercice de l’état de droit ou à des élections équitables, c’est vraiment le pays idéal.

Mon père est tellement reconnaissant de pouvoir vivre au Canada après avoir échappé à la guerre, qu’il semble avoir oublié qu’il a dû changer son nom sur son curriculum vitae, de Hussein à Steve, pour enfin recevoir un rappel.

C’est un compromis minime pour lui, considérant ce qu’il a vécu. Mais pour les Canadiens de deuxième génération comme moi, ce compromis est beaucoup trop lourd.

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On a la chance et le privilège de «mieux s’intégrer», de se sentir plus accepté, plus «canadien» (sans accent). Ce privilège vient avec la prise de conscience que nous méritons plus que nos parents.

Que nous avons du chemin à faire avant de pouvoir nous vanter d’être multiculturels! Bien que je sois reconnaissante pour tout ce que le Canada a offert à mes parents, je n’en accorderais pas tout le mérite à la politique du multiculturalisme.

Nous, les minorités, étions ici avant cette politique. La Charte honore toujours la culture des colons blancs et laisse une petite part du gâteau à la section «divers» pour s’occuper de leur propre intégration, alors que les Canadiens blancs s’intègrent parfaitement et sans souci.

Sur le dos des groupes minoritaires

Alors, oui, le multiculturalisme est notre force et nous devons en être reconnaissants. Mais il y a du travail à faire, et cela commence par la reconnaissance que ce pays a été construit sur le dos des groupes minoritaires.

On n’oubliera jamais Africville, l’assimilation des Japonais canadiens, les réserves autochtones, les changements de politiques et le taux de crimes de haine après le 11 septembre. Il ne suffit pas de s’excuser.

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Parlons donc de notre silence sur le sujet des autochtones n’ayant pas accès à l’eau potable. Pendant la campagne électorale, Jagmeet Singh était sans cesse interrogé sur la manière dont il prévoyait «payer» pour qu’un groupe ethnique reçoive un droit humain fondamental, l’accès à l’eau potable. «Pourquoi est-ce même une question», répondait le chef du NPD: «Oui, ils méritent d’avoir accès à de l’eau potable.»

Les attitudes de fierté envers le multiculturalisme au Canada ne sont malheureusement qu’une surestimation de notre progrès vers l’inclusion. Le Canada, comme le dit Jean-Luc Gignac dans son livre Le multiculturalisme canadien est-il anti-jacobin?,  «fonctionne vraiment comme état unitaire, et la reconnaissance de la diversité culturelle est tout simplement symbolique: une stratégie douce d’assimilation à la société dominante».

Pensons grand

La diversité et l’inclusion sont la porte d’entrée vers des idées plus grandes et plus larges. Sans diversité, le Canada ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, et il est temps d’apprécier cela. Au moins, il faut donner une chance aux minorités d’être reconnus comme canadiens sans leur faire sentir que leur culture est une menace.

C’est dommage que nous nous trouvions dans un dilemme de cohésion sociale dû à nos différences. Selon un bulletin de rendement sur l’état de la démocratie au Canada, «un pays dont les ressources et les habitants font sa grande richesse devrait s’efforcer de dépasser les attentes» (Samara 2015).

Il est temps de mettre plus d’effort pour mériter le titre avec lequel nous avons été généreusement honorés, pour vivre le multiculturalisme avec authenticité et espérer qu’un jour ça ne sera plus considéré «remarquable» qu’une personne issue d’une minorité se présente comme candidat au poste de Premier ministre.

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