Du sexisme dans les manuels d’anatomie?

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L'appareil reproducteur féminin, dans l’ouvrage De Humani Corporis Fabrica, en 1543.
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Publié 25/01/2022 par Kathleen Couillard

Après avoir fait reculer depuis un siècle le sexisme dans la plupart des secteurs de la société, y compris la médecine, serait-il possible qu’il soit encore présent dans les livres d’anatomie? Des auteurs l’ont prétendu ces dernières années.

Un corps imparfait

Dans une étude du langage employé dans les textes destinés aux étudiants en médecine de 1890 à 1989, deux chercheuses du Nebraska rappelaient que les anatomistes avaient, depuis toujours, considéré que le corps masculin était supérieur au corps féminin.

En fait, chez les Grecs de l’Antiquité, les femmes étaient vues comme des hommes imparfaits.

Ainsi, les anatomistes croyaient que le vagin et l’utérus étaient l’équivalent du pénis et du scrotum, leur position étant simplement inversée. De plus, les ovaires n’avaient pas de nom spécifique et étaient désignés comme des testicules féminins.

Sexisme: distincte ne veut pas dire égale

Il faut attendre la fin du 17e siècle pour commencer à considérer que l’anatomie des femmes est complètement distincte de celle des hommes. Cela ne s’applique pas uniquement au système reproducteur, mais à l’ensemble du corps.

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Toutefois, distincte ne veut pas dire égale.

Par exemple, un médecin allemand écrit en 1830 que le corps de l’homme exprime la force de même que sa compréhension aiguisée des choses, ce qui le prépare aux sciences, aux arts et à la politique.

Alors que le corps féminin exprimerait l’émotion et la douceur, ce qui prédisposerait la femme à la maternité et à une vie de famille paisible à la maison.

Des noms aux origines douteuses

Si l’on ne s’étonne pas que de telles perceptions aient longtemps prévalu, en revanche, des experts déplorent qu’une vision négative du corps féminin persiste encore aujourd’hui, dans le langage même utilisé en anatomie.

Dans un texte publié en 2020, la chercheuse Allison Draper, de l’École de médecine de l’Université de Miami, propose par exemple une réflexion sur le terme pudendum qui, jusqu’à tout récemment, était utilisé comme synonyme de vulve.

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Ce terme latin provient du grec signifiant entre autres «honte».

Selon Mme Draper, à l’origine, les Grecs employaient ce terme pour désigner les parties génitales à la fois de l’homme et de la femme. Cependant, depuis les années 1950, on le retrouve dans les livres d’anatomie uniquement pour décrire le sexe féminin.

Cette situation illustrerait une perception négative de la femme qui persiste à travers le langage, avance Allison Draper.

Le nerf «honteux»

Elle n’est pas la seule à avancer cet argument. Après des débats chez les anatomistes, le terme a finalement été retiré, en 2020, de la seconde édition du manuel Terminologia Anatomica. Toutefois, rapportait cet automne le New York Times, le terme «pudendal nerve» (en français, le nerf honteux) est toujours utilisé par les médecins.

Plusieurs autres termes médicaux ou anatomiques ont des origines douteuses, écrivait en 2018 Leah Kaminsky, médecin australienne.

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Par exemple, le mot vagin proviendrait d’un mot latin signifiant «fourreau», c’est-à-dire l’étui dans lequel on insère une épée. On peut imaginer facilement ce que les hommes de l’époque avaient en tête en lui attribuant ce nom.

Sexe et sexisme: le point Gräfenberg

Pour sa part, le terme hystérie, longtemps employé pour décrire un trouble mental attribué aux femmes, viendrait du mot grec désignant l’utérus, parce qu’on associait ces états d’âme à des dysfonctionnements de cet organe sexuel.

La Dre Kaminsky note également que certaines parties du système reproducteur féminin ont été nommées par et pour des hommes, comme les trompes de Fallope ou le point G (du médecin allemand Ernst Gräfenberg).

Au lieu de parler des trompes de Fallope, on pourrait utiliser le terme tube utérin.

Une équipe de médecins australiens a d’ailleurs observé que, sur 432 personnalités de l’histoire médicale ayant donné leur nom à 700 structures anatomiques, 424 étaient des hommes.

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Des manuels peu représentatifs

En 1992, les chercheuses du Nebraska citées plus haut avaient étudié les représentations graphiques du corps humain dans 30 manuels d’anatomie publiés au cours des 100 années précédentes.

Elles avaient remarqué que les images masculines étaient deux fois et demie plus fréquentes que les images féminines… Et que cette proportion était demeurée constante pendant tout ce siècle.

De plus, l’analyse du texte accompagnant ces illustrations révèle que l’anatomie masculine était clairement le standard auquel les auteurs comparaient l’anatomie féminine.

Évolution?

Près de 25 ans plus tard, en 2016, des chercheurs australiens ont réalisé une analyse similaire sur 17 manuels contemporains, pour voir si la situation avait évolué.

Bien que les résultats variaient beaucoup d’un livre à l’autre, les hommes demeuraient beaucoup plus représentés que les femmes. Les images de femmes se retrouvaient également davantage dans les sections sur la reproduction.

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De plus, les hommes étaient plus souvent musclés alors que les femmes avaient plutôt un corps mince et ferme. Enfin, les femmes représentées étaient plus susceptibles d’être utilisées pour illustrer une blessure ou une maladie.

Des conséquences du sexisme sur les soins

Ces observations peuvent sembler banales, mais derrière toutes ces analyses, il y a l’idée que les mots et les images pourraient influencer les perceptions des futurs médecins.

Les mêmes chercheurs australiens ont d’ailleurs rencontré des étudiants en médecine et en sciences de la nature pour tenter d’évaluer ce phénomène. Ils ont conclu que le fait d’être exposé à ces images contribuait au développement de biais inconscients concernant le genre.

La crainte est donc que ce type de biais ait ensuite des répercussions sur la pratique médicale.

Coeur, genou, douleur…

Par exemple, les chercheurs rappellent les résultats d’une étude ayant démontré que les médecins avec un biais de genre sont moins susceptibles de recommander des tests cardiovasculaires à une femme qu’à un homme, même s’ils présentent les mêmes symptômes.

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Des chercheurs du Wisconsin ont également résumé en 2013 les résultats de quelques études concluant que les femmes sont trois fois moins susceptibles que les hommes de recevoir une opération du genou lorsque cela est cliniquement nécessaire.

Selon les auteurs, les médecins pourraient inconsciemment adhérer à des stéréotypes voulant que les hommes endurent plus de douleur sans se plaindre… Ou qu’ils ont plus tendance à être vigoureusement actifs… Et qu’ils seraient donc de meilleurs candidats pour une opération.

Auteur

  • Kathleen Couillard

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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