Services en français: vols mouvementés

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Publié 22/01/2008 par Yann Buxeda

C’est un retour aux sources pour L’Express. Le 2 juin 1976, notre Une signait un rare titre en anglais avec «Choose Air Canada And Die In English». Plus de trente ans plus tard, la situation a heureusement évolué mais tout n’est pas rose au sein de la compagnie aérienne canadienne, qui continue de susciter le courroux de ses utilisateurs francophones. Mais en ce début d’année 2008, c’est la qualité des services en français dans plusieurs secteurs du service public qui se trouve sur la sellette.

Air Canada doit-elle faire l’objet d’une mise sous tutelle? La position du porte-parole de la Ligue québécoise contre la francophobie canadienne Gilles Rhéaume est incontestablement un brin provocatrice. Elle a néanmoins le mérite de porter l’attention sur un sujet sensible: les manquements répétés de la compagnie aérienne quant à ses devoirs en termes de dualité linguistique.

Il y a quelques jours, le président de la Fédération acadienne de Nouvelle-Écosse Jean Léger dévoilait un incident survenu en mars dernier. Selon ses dires, on lui aurait refusé l’embarquement à bord d’un appareil d’Air Canada au départ d’Halifax alors qu’il exigeait être servi en français. M. Léger avait alors sorti une caméra, afin d’immortaliser les déficiences de la compagnie, suscitant le courroux des agents qui avaient fait venir la Gendarmerie royale du Canada.

Cette dernière n’avait rien trouvé à reprocher à M. Léger, qui avait finalement pu partir à bord d’un autre avion d’Air Canada. Mais au total, ce sont près de 130 plaintes qui ont été déposées auprès du commissariat aux langues officielles du Canada en 2006-2007, soit près de deux fois plus que l’année précédente.

Des chiffres alarmants, que le commissaire aux langues officielles du Canada Graham Fraser prend très au sérieux: «On suit ces affaires de près. Air Canada est de très loin l’institution la plus visée par les plaintes que nous recevons. Cela fait longtemps que le problème existe et pour le moment, très peu de solutions ont été trouvées.»

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Un point de vue corroboré par celui de nombreux usagers. Le Commissariat aux services en français de l’Ontario n’a pas autorité pour juger d’affaires fédérales.

Pour autant, le commissaire François Boileau, en simple citoyen, constate qu’il est lui aussi souvent victime de certains manquements de la compagnie aérienne canadienne: «C’est presque devenu une agréable surprise d’être servi en français. Je comprends l’attitude de Jean Léger, qui a simplement réagi comme son poste le requérait. Et surtout, il ne faut pas oublier qu’Air Canada est financé avec les taxes de l’ensemble des Canadiens, sans distinction de langues. Le retour sur investissement devrait se faire sur les mêmes fondamentaux.»

Graham Fraser souligne néanmoins que le problème rencontré par Jean Léger est double: «Air Canada a pris l’engagement de faire de nombreux efforts en termes de formation et de sensibilisation des effectifs. Mais il faut aussi noter que nous suivons un autre dossier concernant l’aéroport international d’Halifax. Cette structure est identifiée comme étant a risque en termes de disponibilité de services bilingues et nous tentons également d’y remédier.»

À plus petite échelle, un autre service public s’est récemment distingué dans les manchettes après avoir été taxé de francophobie. La semaine dernière, le gestionnaire des programmes d’appui aux langues officielles de Patrimoine canadien Michael Morin a porté plainte contre un policier de la ville d’Ottawa. Il avance le fait qu’il se soit vu refuser un service en français avant de faire l’objet de menaces implicites de la part du fonctionnaire.

Le 10 octobre dernier, en centre-ville d’Ottawa, M. Morin soutient qu’il a été contraint de franchir un feu rouge en raison d’une densité importante de circulation. Il a alors été interpellé par un agent anglophone, qui lui aurait refusé la possibilité d’obtenir un service en français. Le représentant des forces de l’ordre lui aurait fait clairement comprendre que s’il insistait, sa sanction pourrait être réévaluée à la hausse.

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La plainte de M. Morin, déposée en cour mais également au bureau du commissaire aux services en français de l’Ontario, a suscité elle aussi certaines réactions. François Boileau, qui étudie toujours avec ses services si la plainte enregistrée par M. Morin est recevable par le commissariat, souligne avec prudence que si les allégations s’avèrent confirmées, il ne s’agit en aucun cas de généraliser ce qu’il considère comme «un cas isolé».

Suite à la mise sous les projecteurs de cette affaire, Renée Loya, une habitante de Burlington, se souvient avoir vécu une mésaventure similaire il y a quelques années: «Je roulais à l’époque en centre-ville de Brampton lorsqu’un policier anglophone m’a interpellée. Une fois au tribunal, j’ai demandé à être servie en français, ce qui m’a été refusé une première fois. J’ai insisté à plusieurs reprises par courrier, et l’on m’a expliqué d’être patiente, puisqu’un dossier en français était traité pour quatre dossiers en anglais. Et tandis que je patientais, j’ai reçu une lettre affirmant que je ne m’étais pas présenté à mon audience. Au final, j’ai dû payer sans même pouvoir me défendre en français.»

Et d’ajouter: «Il aurait fallu que je mette cette décision en appel, mais après toutes ces démarches, j’ai baissé les bras.»

Et l’armée dans tout ça?

Les Forces armées canadiennes sont également souvent pointées du doigt en termes de dualité linguistique. Déjà début 2007, L’Express présentait à ses lecteurs les nouvelles règles concernant le bilinguisme au sein de l’armée. Des mesures que l’on considérait à l’époque comme un recul de près de 40 ans sur la situation du français dans les casernes et bases de la Défense. À l’époque, la base de Borden, en Ontario, cristallisait tous ces manquements aux lois relatives aux services en français. Pourtant, près de 1 500 jeunes recrues francophones y convergeaient chaque année.

Un mieux avait pu être perçu lorsqu’en octobre dernier, les autorités de Borden avaient organisé une opération de promotion des langues officielles au sein de ses troupes. Mais force est de constater que cet épiphénomène n’a pas connu de suivi et aujourd’hui, Borden est toujours au coeur d’une polémique linguistique.

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L’ancien ombudsman de la Défense Yves Côté, chargé d’enquêter sur le sujet, constate même que «la situation est pire qu’avant.» Dans un rapport présenté à la rentrée dernière, il fait état de propos intolérants et de discriminations subis par les soldats francophones.

Des propos qu’appuie Graham Fraser, également en charge du dossier au Commissariat aux langues officielles: «M. Côté avait constaté des manquements sérieux à ce sujet, et le Commissariat continue de suivre attentivement la situation de la base de Borden. J’ai pour ma part comparu devant divers comités à ce sujet pour promouvoir la formation et la sensibilisation des effectifs. Il faut rappeler l’importance de ce que le soldat puisse bénéficier d’une formation dans la langue de son choix. C’est essentiel pour son épanouissement. Mais je reste optimiste, car le dialogue est en cours, et les autorités semblent vraiment vouloir remédier à ce problème.»

Reste que bon nombre d’institutions financées par le contribuable n’ont pas encore tenu leurs engagements quant à la dualité linguistique des services offerts. Malgré tout, Graham Fraser reste optimiste. Une attitude inflexible, pour celui qui se présentait comme tel dans L’Express du 22 mai dernier: «Je suis de nature optimiste. C’est une composante essentielle de mon travail.»

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