Serge Bennathan tire sa révérence

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Publié 02/05/2006 par Marta Dolecki

C’est une série de rencontres fortuites avec la danse qui auront façonné le parcours du chorégraphe Serge Bennathan. Alors qu’il était encore un enfant, son père, sergent dans l’armée française, lui demandait ce qu’il souhaitait faire de sa vie. Drôle de question pour un gamin âgé de sept ans. À cette époque, le jeune Serge n’en n’avait pas encore la moindre idée. Tout ce qu’il voulait, c’était de pouvoir échapper aux cours de solfège qui lui avaient été imposés par ce père autoritaire.

Ne serait-ce pour son voisin du dessus qui prenait des cours de danse, Serge Bennathan n’aurait pas su quoi répondre. Mais voilà, son petit voisin faisait de la danse, alors, du tac au tac, Serge Bennathan a dit à son père que lui aussi désirait s’initier à cette nouvelle forme d’art.

«Mon voisin aurait fait du judo, j’aurais fait du judo», se souvient-il aujourd’hui dans un clin d’œil. Cependant, en choisissant la danse comme vocation première, le futur chorégraphe ne croyait pas si bien faire.

Plus tard, ce même hasard l’a suivi toute une vie. Coup de coeur pour la prestation d’un danseur étoile, arrivée, in extremis, dans la troupe de Roland Petit, grand saut de la France au Canada avec, enfin, l’impression d’être arrivé au bon endroit: la danse a toujours été au coeur de l’univers de Bennathan, et quand elle n’y était pas, elle le rattrapait inconsciemment.

«C’est vraiment étrange quand je repense à la façon dont tout s’est enchaîné pour m’amener là où je suis. La danse m’a véritablement sauvé. Heureusement qu’elle a été toujours là», s’exclame, les yeux brillants, celui qui est devenu l’un des chorégraphes les plus connus et respectés à l’échelle du pays.

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Après 15 ans passés à la barre de Dancemakers, Serge Bennathan s’est décidé à quitter la compagnie torontoise pour voguer vers de nouveaux horizons.

Sa dernière pièce dansée, Absences, est un hommage à ces mêmes personnes – danseurs, chorégraphes – qui ont ponctué son cheminement d’artiste et de créateur en lui fournissant la matière de son inspiration.

«Il y a deux ans et demi, je me suis mis à penser à des gens que j’avais croisé dans ma vie, mais pas n’importe lesquels», raconte le chorégraphe à propos de la naissance du spectacle Absences, qui, loin d’évoquer un vide, retrace justement l’histoire de ces rencontres lumineuses.

«Par exemple, à 15 ans, quand j’ai vu Rudolf Nureyev danser pour la première fois à Paris, j’ai compris certaines choses. Un déclic s’est alors produit. Puis, dans un esprit différent, toujours à Paris, la grâce de Pina Bausch est venue me toucher quelques années plus tard. Ici, à Toronto, quand j’ai connu Michael J. Baker, cela a été une autre rencontre toute aussi superbe. Le simple fait de repenser à ces gens-là de cette façon me faisait sourire. J’y songeais avec une certaine nostalgie, mais véritablement dénuée de tout regret. C’était plutôt une nostalgie lumineuse et j’ai bâti Absences comme ça, en silence, dans ma tête pendant deux ans.»

Entre ombre et lumière, cette évocation nostalgique se retrouve transposée sur scène dans une chorégraphie qui explore les différentes facettes de la condition humaine, son élégance, sa grâce inhérente, mais aussi la dichotomie entre la pesanteur du corps et la légèreté de l’esprit. Comme toujours, la danse de Bennathan est très physique, théâtrale, aux confins du classique, du moderne et de la gymnastique, oscillant constamment entre ces différents modes d’expression.

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Au sol, les danseurs s’essaient à différents sauts et mouvements. Le ballet des corps est parfois fluide, parfois saccadé, comme si la beauté s’obtenait au prix d’une lutte intérieure. Certains danseurs, sur la pointe des pieds, évoluent difficilement. Ils avancent courbés, comme s’ils devaient mener un combat contre des forces extérieures. Puis, dans un mouvement lumineux, tout s’éclaire soudainement. Un danseur s’empare de sa partenaire et, dans un porté limpide, la fait tourner jusqu’au vertige, les bras tendus vers l’infini.

Ce parcours mouvementé, c’est aussi la vie de Serge Bennathan racontée sur scène à travers la danse. Entre ombre et lumière, le chorégraphe a parfois dû lutter contre vents et marées pour en arriver là où il en est aujourd’hui. Le choix d’un inconnu à la barre de Dancemakers n’était pas évident. En misant sur sa candidature il y a 15 ans, le conseil d’administration de la troupe faisait un pari risqué.

Cependant, au fil des années, Serge Bennathan a su se montrer à la hauteur. «J’ai pris les rênes d’une compagnie qui était à l’époque fragile et avait besoin d’une philosophie, d’une direction propre. À travers le travail qu’on a fait, on a réussi à rester uniques et à proposer une danse différente au public. Pour moi, c’est bien cela qui fait la force de la compagnie», estime le chorégraphe.

C’est également sous l’impulsion de son nouveau directeur artistique que la compagnie s’est dotée de locaux neufs, dans le quartier de la Distillerie, et possède maintenant son propre centre de création.

«Je quitte la compagnie en bons termes, simplement à un moment donné, je me suis senti complet. La boucle a été bouclée, j’ai été le plus loin possible dans cet environnement. Bien sûr, je pourrais encore rester, mais j’ai l’impression que je commencerais à me répéter», explique Serge Bennathan à propos de sa décision de quitter Dancemakers.

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Les projets futurs du chorégraphe? Monter une pièce de théâtre à Vancouver en compagnie de l’acteur Jonathan Young. «C’est une nouvelle aventure. Je suis très curieux, excité à l’idée de cette nouvelle vie qui arrive. Il est important d’avancer pour aller plus loin. Je veux maintenant retourner au créateur que je suis», conclut Serge Bennathan. Et le créateur, qui bouillonne d’idées derrière ses petites lunettes rectangulaires, n’en n’est d’ailleurs pas à son premier coup d’essai en la matière puisqu’il a déjà mis en scène plusieurs opéras à Toronto.

La direction de Dancemakers sera quant à elle assurée par Michael Trent qui a été nommé pour reprendre la barre de la compagnie dès le 1er août prochain.

Absences de Serge Bennathan, jusqu’au 6 mai prochain, Premiere Dance Theatre, 207 Queen’s Quay Ouest, billets: de 21 à 38 $. Pour plus d’informations: 416-973-4000.

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