Sao Paulo et la Loi de la propreté

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 06/04/2010 par Jean-Luc Bonspiel

Dans de nombreuses villes où l’eau courante n’est encore accessible qu’à une minorité, le touriste se plaindra souvent d’être victime de nuées d’enfants entraînés à devenir autant de piranhas humains en perpétuel état de fringale délirante.

Dans notre municipalité aseptisée, le système répond aux mendiants trop insistants par l’attention prompte de fonctionnaires en uniforme. À Toronto, si on est humain, harceler le passant pour lui taxer son bien n’est pas permis.

Cependant, si on est une compagnie qui a acheté une publicité extérieure, on peut sans problème importuner tous les badauds et leur livrer une guerre psychologique de tous les instants pour les dépouiller de leur maigre avoir. Avons-nous un droit à la quiétude dans le quotidien? Oserions-nous demander une protection contre les sollicitations commerciales importunes et les pétitions permanentes pour nous piquer notre pognon?

Chaos publicitaire

Toronto est une ville maculée, voire bariolée de sollicitations criardes et de réclames d’un goût douteux. Le piètre état de la Ville-Reine est bien résumé par son Square Dundas, véritable carrefour du Canada, devant lequel passent 17 millions de personnes chaque année.

La place est essentiellement un amoncellement chaotique de publicités déversant leurs messages confondus dans d’innombrables paires de rétines insatiables. Comme signature municipale, on est loin de la piazza San Marco de Venise où même de la place Jean-Paul Riopelle à Montréal.

Publicité

Mais sommes-nous vraiment condamnés à vivre ainsi perpétuellement harcelés par un battage publicitaire qui nous mine la santé et le moral? Est-ce que la glorification d’une crème contre l’acné mérite qu’on soit importuné une seule seconde?

Guerre à la pollution visuelle

Gilberto Kassab a voulu reprendre sa localité aux publicitaires qui se l’étaient appropriés comme trame de fond. Maire de la ville brésilienne de Sao Paulo, une agglomération urbaine de 20 millions d’habitants, Kassab mène une guerre impitoyable à la pollution visuelle à l’aide de sa Loi pour une Ville Propre (Lei Cidade Limpa).

Cette législation progressiste et sans précédent, adoptée au Conseil municipal par 45 votes contre un seul, interdit depuis 2007 presque toute publicité commerciale extérieure. Le maire Kassab a décidé de s’attaquer en priorité à la pollution visuelle, car les résultats seraient immédiatement ressentis. Il fallait éliminer l’étalage pêle-mêle de pub aussi psychologiquement nuisible qu’une puanteur répandue sur toute la ville.

Les grands consommateurs d’affichage extérieur ont mené une lutte dispendieuse devant les tribunaux pour empêcher la mise en oeuvre de ces mesures populaires. La Cour Suprême du Brésil a cependant dû se ranger du côté de l’intérêt public évident et de l’opinion publique presque unanime; elle a reconnu le droit à la jouissance paisible du chemin public.

Hommes-sandwichs

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, tant à l’ombre de l’Edificio Copan (le plus volumineux édifice résidentiel au monde) qu’aux quatre coins de la ville, les agents municipaux de Sao Paulo guettent la moindre infraction; ils ont rapporté l’équivalent de 30 millions de dollars en amendes dès la première année.

Publicité

Plus de huit mille sites d’affichage ont été éliminés et la campagne a même eu des conséquences imprévues, dont l’apparition d’un bataillon d’hommes-sandwichs (obéissant aux lois plus fondamentales du marché).

Imaginez à Toronto

Imaginez un Toronto purgé des réclames criardes et stressantes qui se disputent aujourd’hui notre attention déjà fracturée. Osez visualiser une métropole contemporaine sans publicité extérieure, soudainement sereine, comme lorsque cesse le vacarme d’un moteur dont on avait mentalement bloqué le bruit.

Plus d’immenses panneaux publicitaires, pas de néons, pas d’échafaudages d’écrans géants comme dans notre ridicule faux Times Square, coin Yonge et Dundas.

L’humanité a une capacité d’adaptation extrême, c’est l’un des facteurs militant pour la survie de l’espèce. Mais avons-nous tendance à trop en accepter? Comme les cafards qui nous survivront, nous sommes peut-être trop tolérants, trop prêts à échanger vie contre survie, la différence si cruciale entre la bête existence et une main à la barre du destin.

Pourquoi tolérer l’amoindrissement de notre bien-être au nom de l’enrichissement supplémentaire des déjà très bien nantis?

Publicité

Ou peut-être devrions-nous envisager une campagne mieux adaptée à notre contexte social. Nous pourrions aviser ceux qui parsèment notre chemin de propagande que nous sommes consultants professionnels en publicité et que la présence de leurs annonces constitue dorénavant un contrat de service. Notre travail sera de contempler leurs publicités contre nos frais de consultation de 1000$ l’heure, avec facturation à la fin de chaque mois.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur