Santé: des souris et des hommes

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Publié 16/01/2007 par Yann Buxeda

En 1938, la Loi sur la santé de l’Ontario avait imposé la pasteurisation de tout produit à base de lait. Un choix sanitaire qui n’aura pas eu raison des véritables amateurs de fromages à Toronto. Si les hommes ont fait leur beurre – pasteurisé, certes – avec des produits adaptés à la loi (cheddar, havarti, mozzarella, Monterey Jack…), les souris, elles, n’ont pas déserté les lieux.

Les sous-sols de Toronto n’ont rien d’un gruyère helvète comme peuvent l’être ceux de Paris ou New-York. Pourtant, force est de constater que les souris y ont fait leur nid depuis bien longtemps. Mais si les usagers lilliputiens des transports torontois ne paient pas leur billet, ils grouillent pourtant sans honte dans les couloirs estampillés TTC.

«Des souris et des hommes», ou le triste quotidien d’usagers qui ne prêtent même plus attention à la présence de rongeurs entre les rails, les sièges, et bientôt entre les pages de leur livre.

Dans l’ordre établi des choses, les oiseaux occupent le ciel, les écureuils et les ratons laveurs se partagent les paliers de portes, les arbres et les boîtes vertes à compost, les hommes occupent généralement les habitations construites de leur main, et les souris en occupent les bas-fonds.

Un système certes inique, mais qui fait ses preuves depuis des décennies, sans que ni l’une ni l’autre des parties n’aient ressenti le besoin de s’en plaindre. Oui, mais voilà. Depuis quelques années, tel un Américain en manque de pétrole et de démocratie, les souris veulent conquérir la surface de la planète. À commencer par nos murs, évidemment!

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Et le moins que l’on puisse dire, c’est que si la technologie est de notre côté, les souris ont elles aussi des arguments à faire valoir. Furtivité, vivacité et surtout surnombre, puisque les dératisateurs de la ville estiment que pour chaque habitant de Toronto, entre 100 et 300 souris lui font écho. Un rapide calcul qui nous amène à constater qu’il y aurait environ 500 millions de souris ayant élu Toronto pour domicile.

Voilà pourtant une statistique qui ne semble pas inquiéter la mairie de Toronto.

Dans un rapport publié en 2006, les services de santé de la ville dressaient un bilan quant à l’infestation de la ville par les rats et les souris.

Un document qui fait état d’un «niveau d’infestation particulièrement bas pour une grande ville» qui induit par ailleurs «un risque de transmission de maladies pour l’homme quasiment inexistant.» Des maladies que le rapport ne se gène pas de détailler par ailleurs, puisqu’il est question de salmonellose, de leptospirose ou encore de fièvres hémorragiques.

Toujours est-il que ce «non-problème» des rats et souris dans la ville de Toronto est loin d’être résolu, et les démarches en ce sens ne sont pas pléthores. Car si jusqu’au début des années 1990, Toronto disposait d’un service spécifique pour éradiquer la présence des rongeurs dans les murs, le Rodent control investigators (RCI), le système fut progressivement éliminé en raison de coupures budgétaires.

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À ce jour, les possibilités de faire appel à la ville pour un particulier sont extrêmement restreintes. Il existe bien un centre dédié, le 338-RATS, mais les conseils prodigués se résument le plus souvent à ceux que propose la mairie de Toronto sur son site officiel, à savoir comment bien gérer son compost pour ne pas en faire un nid à souris. Le tout servi avec quelques adresses de spécialistes pour savoir où dépenser son argent pour récupérer sa maison.

Et si la mairie ne s’investit pas plus sur le sujet, comme elle le confiait en février dernier, les raisons sont multiples. Premier argument invoqué, le manque de statistiques tendant à prouver une augmentation de la population des muridés. Une souris qui se mord la queue, puisque seuls les services de la ville sont véritablement capables de fournir de tels chiffres.

Or, il est précisé dans ce même rapport que «Santé publique Toronto ne possède aucune donnée d’observation du phénomène qui soit annuellement gradué», et «qu’aucune organisation ou agence ne suit cette évolution.»

Second argument invoqué: les restrictions budgétaires. Un thème récurrent, mais qui trouve ici ses limites, puisque le coût engendré par un tel programme de dératisation ne serait en rien comparable aux sommes astronomiques qui sont dépensées depuis une dizaine d’années autour du projet immobile de revitalisation du secteur riverain (waterfront).

Troisième argument massue: la responsabilité dans la majorité des cas des propriétaires ou locataires qui «adoptent un mauvais système de stockage de leurs déchets et pratiquent un compostage inapproprié». Ou l’art de noyer le poisson – chat? – en invoquant la responsabilité collective à défaut de fournir des solutions.

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Trois lignes de conduite associées à quelques justifications telles que: «la ville est bien desservie grâce à quelque 50 spécialistes de ces problèmes, qui peuvent fournir un service efficace pour un coût relativement faible» qui laissent penser que le problème de la dératisation n’est définitivement plus d’actualité du côté de l’Hôtel de Ville.

En 1967, de Gaulle s’inquiétait déjà: «L’avenir n’appartient pas aux hommes…» Ou la vision résignée d’une équipe municipale qui a définitivement d’autres chats à fouetter.

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