Santé des canadiens: public ou privé?

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Publié 22/01/2008 par Aline Noguès

Le régime public de santé canadien est-il bon à jeter aux orties? C’est ce que pensent les tenants d’une privatisation de la santé, politiciens, économistes ou encore simples citoyens las des listes d’attente ou des urgences engorgées. Mais depuis 2006, date de sa création, l’organisme Médecins canadiens pour le régime public (MCRP) se bat pour changer les termes du débat.

«L’alternative “statu-quo du régime public ou privatisation” est un faux choix», confie à l’Express Simon Turcotte, résident en chirurgie à l’Université de Montréal et porte-parole de MCRP. «Il reste une troisième possibilité: améliorer le régime public. Et des solutions existent!»

MCRP tenait ce dimanche à Toronto sa première assemblée générale. Pour l’occasion, elle avait invité le Dr. Oliver Fein, membre de l’Association des médecins américains pour un programme de santé national.

Pour le Dr. Fein, tout comme pour les membres de MCRP, le privé et la santé ne font pas bon ménage.

«Au Canada, explique Simon Turcotte, les gens pensent souvent que si le système est financé seulement par l’État, cela le rend forcément inefficace, incapable d’innover, moins bon. Mais le privé a aussi ses limites, comme nous l’a montré le Dr. Fein. La majorité des Canadiens ne sont pas au courant qu’il existe une remise en question du système américain. Certes, le système canadien connaît quelques problèmes mais il ne faut pas non plus remettre en question notre mode de financement.»

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Les limites du système américain privatisé sont nombreuses, comme l’a démontré le Dr Fein, faisant ainsi écho au récent documentaire coup de poing de Michael Moore, Sicko: certaines familles font des sacrifices pour se payer une assurance privée, d’autres s’en passent, faute d’argent, de nombreux soins ne sont pas couverts par les assurances qui d’ailleurs préfèrent couvrir les bien portants plutôt que ceux qui risquent d’être malades (personnes âgées notamment), des milliers d’Américains meurent chaque année d’une maladie curable… mais non soignée, etc.

Malgré ces travers d’un système dominé par des entreprises privées, la population canadienne semble plus réceptive aux idées libérales et à une privatisation du système de santé qu’auparavant.

Et pour Simon Turcotte, ce phénomène est encore plus marqué au Québec, par des discours catastrophistes, que dans le reste du Canada. Mais pourquoi cet attrait croissant vers le privé?

«Plusieurs groupes de réflexion défendant ces idées, très bien organisés, comme l’Institut Fraser ou l’Institut économique de Montréal, créent cette fausse dichotomie “le public inefficace versus le privé-solution-miracle”. Ils commandent des sondages posant des questions comme celles-ci: Combien de personnes au Canada souhaitent une privatisation du système? Combien d’infirmières sont prêtes à aller travailler dans le privé? Les journalistes commentent les résultats, alimentant ainsi un faux débat. On lit donc des phrases choc mais la réflexion est absente.

Bref, si je regarde ce qui se passe au Québec, nous avons une population inquiète face aux ratés du système actuel, des médias qui ne rapportent que les crises et un gouvernement qui ne défend pas assez le public. Pourtant, des solutions existent.»

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Pour MCRP, le régime public est non seulement plus équitable, mais aussi plus efficace. Bien sûr, tout n’est pas parfait actuellement, mais pour l’organisme canadien, il est possible de réformer le système de l’intérieur sans avoir recours à la privatisation.

«Le rapport Romanow présentait en 2002 des pistes à explorer, rappelle le porte-parole de MCRP. Et nous pouvons aujourd’hui proposer des exemples de réformes concrètes pour améliorer le système public: nous pouvons aider les personnes en perte d’autonomie à rester à leur domicile, pour les soins chirurgicaux, nous pouvons créer des centres de chirurgie ambulatoire comme il en existe d’ailleurs à Toronto; pour les personnes souffrant de maladies chroniques, il est possible de former des équipes intégrées qui travaillent autour d’un dossier centralisé auquel ont accès tous les médecins qui suivent le patient.

Cela permet d’augmenter le nombre de patients ainsi encadrés car leur suivi médical est plus efficace. Ce ne sont que quelques exemples de mesures qui permettraient d’être plus efficace et de faire des économies.»

Mais malgré son enthousiasme, le jeune organisme ne compte que 1 400 membres, médecins, résidents et étudiants en médecine, sympathisants – à titre de comparaison l’Association médicale canadienne enregistre 59 000 membres – et les décideurs politiques semblent déjà préférer la voie de la privatisation à celle des réformes du public.

En juin 2005, l’arrêt Chaoulli, de la Cour suprême du Canada au Québec avait invalidé l’interdiction de contracter une assurance privée au Québec, disant qu’elle contrevenait à la Charte provinciale des droits. De cet arrêt avait découlé la loi 33, adoptée fin 2006, qui permet à des hôpitaux de conclure des contrats avec des centres médicaux privés pour les opérations aux hanches, aux genoux et pour les cataractes. Un premier pas vers la privatisation du système dénoncent certains.

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Par ailleurs, le rapport Castonguay devrait être rendu public le mois prochain et préconisera différentes mesures pour pallier les difficultés du système de santé québécois. Mais les prises de position de Claude Castonguay en faveur d’une approche privatisée du système de santé n’augurent rien de bon pour MCRP.

Ni pour le Québec, directement concerné, ni pour le reste du Canada, attentif à ce qui s’y passe et qui pourrait s’en inspirer.

L’association se tient d’ailleurs prête à défendre sa position lorsque ce rapport sera connu mais reste optimiste, comme l’explique Simon Turcotte: «Tout n’est pas noir: on a au Québec un gouvernement minoritaire, la social-démocratie est encore bien implantée et la communauté médicale n’est pas majoritairement pour une privatisation. Il faut percevoir l’attrait pour le privé comme la vision d’un seul parti. Certes, c’est un cri d’alarme mais de l’autre côté, il y a les citoyens, les syndicats…»

L’association MCRP se prépare désormais à lancer une grande tournée nationale des hôpitaux pour mieux faire connaître ses positions.

Un avant-goût du rapport Castonguay?

Montréal (PC) – Michel Venne, l’un des auteurs du rapport sur le financement du système de santé au Québec, croit qu’on pourrait trouver un certain équilibre dans une collaboration avec le secteur privé, en autant que celle-ci soit dotée de «balises».

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Tout en affirmant que le secteur privé pouvait devenir un important «allié» de l’ensemble du système de santé, Michel Venne a tenté de se faire rassurant auprès de ceux qui nourrissent des craintes ou mènent des «procès d’intention» à l’égard de l’apport de ce secteur.

Répondant à une question d’un étudiant sur la montée en flèche des assurances santé privées duplicatives, Michel Venne a dit être d’accord avec ce principe, en autant qu’il soit accompagné de restrictions. Il a en outre donné l’exemple des cliniques privées qui ne pratiquent que certaines interventions en particulier afin d’être remboursées.

Pour le directeur général et fondateur de l’Institut du Nouveau Monde, l’une des grandes faiblesses actuelles du système de santé québécois réside dans le manque de ressources de première ligne. Il déplore le nombre décroissant de médecins de famille, ce qui affecte des centaines de milliers de Québécois, particulièrement en région.

Prévu le 20 décembre dernier, le dépôt du rapport de Claude Castonguay et son équipe a été reporté au 15 février. Plusieurs sources ont indiqué qu’un manque de consensus au sein de l’équipe est à l’origine de ce report.

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