Roman, théâtre et peinture dans une même création

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Publié 03/08/2010 par Paul-François Sylvestre

Michel Ouellette est surtout connu pour ses pièces de théâtre, notamment French Town, L’homme effacé et Le testament du couturier. On lui doit aussi quelques textes poétiques et un livre pour enfant. En 1999 il a signé un premier roman, Tombeau, et il récidive maintenant avec Fractures du dimanche. L’ouvrage est un tour de force car Ouellette exploite à la fois les puissances du roman, du théâtre et de la peinture.

Fractures du dimanche nous convie à trois histoires, à trois mondes qui s’entrecroisent sur trois modes narratifs différents.

Philippe Pierre, un ancien dramaturge découragé d’écrire, maintenant professeur à l’université, épie sa voisine dans l’appartement d’en face. Madeleine, cette artiste-peintre tourmentée dont les tableaux changent au fil des mois, le captive, mais elle part à la recherche de sa mère qui l’a abandonnée. Pendant ce temps, le dramaturge a engagé Diane Ursel et ses fils pour reconstruire pièce par pièce une maison du village au bord de la rivière, son havre de paix.

Tous ces fragments de vies qui s’écroulent sont rapiécés par un quatrième personnage, écrivain aussi, qui en fabrique le livre que le lecteur tient en main.

Ce livre est de facture peu traditionnelle, pour ne pas dire étrange. Il y a 6 sections, 19 chapitres, 19 scènes (dont plusieurs manquantes) et six picture elements. Je suis certain de ne pas avoir tout compris. Pour me réconforter, je pourrais dire que c’est à cause des scènes manquantes, mais je n’irai pas jusque-là.

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En revanche, je dirai que ce roman m’a semblé être avant tout une réflexion sur l’écriture. Le prof Philippe tente d’écrire une pièce de théâtre, mais il est incapable de faire parler le personnage principal. Il refuse d’abandonner son projet d’écriture, encore moins de laisser son personnage en plan sur une page blanche. Il continue à écrire… «un roman sans dialogue».

Au cours du roman, Michel Ouellette note que le dramaturge écrit toujours pour les autres: les metteurs en scène, les comédiens et comédiennes, le public. Tout le monde s’arrache le texte et le trahit pour mieux le saisir. Ce qui fait dire à un personnage qu’«un texte de théâtre, c’est une passoire pour égoutter les idées et les émotions».

Le romancier-dramaturge tire de son expérience une substantifique moelle et avoue que rares sont les gens qui n’ont pas de squelettes dans le placard. C’est peut-être de cette cachette que découle le pouvoir de la fiction. «Il y a toujours un vide sous ses pieds, là où gisent nos histoires et nos fantasmes inassouvis, quelques squelettes aussi, ce qui n’est jamais tout à fait mort, toujours sujet à la résurrection par la fiction.»

Avec la même fluidité qu’il pratique dans ses œuvres dramatiques, Michel Ouellette installe dans ce roman un dialogue entre les divers langages de l’art. Ainsi, le drame de Diane Ursel évoque celui du roi Lear; la charpente d’une maison en chantier permet des dynamiques scénographiques; des toiles abstraites parviennent à évoquer et à retenir les fractures qui composent cette œuvre.

Parlant de toiles abstraites, je dois dire que l’auteur les décrit presque toujours en ayant recours à de courtes phrases incisives, souvent sans verbe. Il dira: «Du sens dans le trouble. Emportement expressif maîtrisé, contrôlé.» Ou encore: «Polychromie jouissive. Emportement, abandon. Musique visuelle. Vibrations chromatiques. Joie.» Et un dernier exemple: «Mouvement frétillant. Chaos oscillatoire. Désordre vibratoire. Chromatisme complexe circonscrit.»

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À l’avant-dernière page du roman, le lecteur devine que l’auteur a probablement été inspiré par un tableau de Georges Seurat, qui se trouve au Art Institute of Chicago; il s’agit de Dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte. Est-ce pour cela que le titre évoque un dimanche fracturé…? Chose certaine, l’hybridité formelle de ce roman fera les délices de ceux qui aiment trouver les clés d’une œuvre. Le plaisir de lire côtoie alors le bonheur d’imaginer.

Michel Ouellette, Fractures du dimanche, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2010, 152 pages, 16,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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