Rire et baiser

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Publié 27/05/2008 par Pierre Léon

Rire est le propre de l’homme
– Rabelais

La plus perdue de toutes les journées est celle où on n’a pas ri
– Chamfort

La femme qui rit sous le baiser n’est pas digne d’être aimée
– Alfred de Musset

Si elle connaît la citation de Musset, Michaëlle Jean doit être bien embêtée d’avoir éclaté de rire devant le baise-main que lui préparait Nicolas Sarkozy. C’est qu’elle rit de bon cœur, la Gouverneure Générale du Canada, sur la photo publiée dans le Globe and Mail du 8 mai 2008 (p. A3).

Le cliché a figé le déroulement de l’opération, si bien que moi j’ignore jusqu’où ils sont allés. Vous, vous savez sans doute, si vous avez vu la scène à la télévision. Le Président de la République française a-t-il baisé la main tendue où s’est-il arrêté là où la photo a immobilisé son geste très aristocratique?

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En tout cas, elle se marre bien, Michaëlle. Elle devait attendre une poignée de main, à la canadienne. Mais lui s’est souvenu de ses antécédents (la particule «zy», en hongrois équivaut au «de» noble en français). Le rire de la Gouverneure a l’air de surprendre le Président. En arrière fond, les gardes républicains regardent ailleurs.

Ce rire est tout de même plus réconfortant que la tête sinistre de Poutine et de son nouvel acolyte. Il doit falloir les chatouiller fort, ces deux-là pour les dérider, comme dans le film François Premier où une chèvre lèche les dessous de pieds (préalablement salés) de Fernandel. Le rire devient alors mécanique et utilisé comme torture, plus amusante pour le spectateur que celles pratiquées dans bien des pays.

Le rire peut être incontrôlable comme dans le fou rire, qui arrive parfois chez les acteurs, et presque toujours sans raison. Le rire est aussi communicatif, comme dans un sketch de Laurel et Hardy, où Laurel, ivre, rit tant que Hardy finit par faire de même, sans savoir pourquoi. Projetée dans une salle, la séquence finit par déchaîner l’hilarité générale. Ce film, intitulé Fra Diavolo, est un chez d’œuvre de comique! Rire garanti pendant plus d’une heure.

Là, Séverine et moi, on bat les records canadiens. En effet, le Canadien moyen, selon une statistique récente (Globe, 5 mai 08) rit 46 minutes par jour. J’ai tenté de vérifier cette observation scientifique sur moi, sans résultat très probant. Minutez-vous et dites-moi combien de temps vous riez quotidiennement. Ça doit dépendre de bien des facteurs.

Un humoriste, Pierre Dac, disait que le rire est à l’homme ce que la pression est à la bière. C’est une explosion! Il faut que ça sorte. Comment? Du point de vue de la vocalisation, le rire spontané, émotion brute, est formé d’une série de pulsions acoustiquement informes quoique rythmées, difficiles à décrire.

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Au seizième siècle un auteur, Laurent Joubert, décrit ainsi ce type de rire: «il y en a que vous diriez oyes qui sifflent, d’autres que ce sont oisons grommelant. Il y en a qui rapportent au gémir des pigeons ramiers ou des tourterelles en leur vanité, les autres au chat-huant, et qui au coq d’Inde et au paon…!»

Mais il y aussi un rire socialisé, mieux timbré et plus stéréotypé que le rire émotif. Ainsi Molière note-t-il le rire de la Martine du Bourgeois Gentilhomme: «Hi, hi, hi» mais celui de Zerbinette, dans Les Fourberies de Scapin: «Ah! ah! ah! ah!». Zerbinette doit-elle avoir un rire masculin? En effet, les harmoniques aigus du Hi, le font attribuer d’habitude aux voix plus hautes des femmes et celui en Ah, aux voix plus graves des hommes.

Mais il peut y avoir bien d’autres formes de rires dont les timbres et l’intonation dépendent d’attitudes, volontaires, assez conventionalisées, telles que la coquetterie, le mépris, la moquerie. Le rire sarcastique, méchant, est nasalisé.

Le rire est une pinte de bon sang, tout comme bon vin, dit-on en Touraine. Et voilà qu’il y a maintenant des clubs de yoga du rire. Fondés par un médecin de l’Inde, Madan Kataria. Ses clubs sont déjà au nombre de 53, répartis dans le monde entier, selon le Globe du 5 mai. Et Daniel, un bon copain torontois, m’assure qu’on y a bien du plaisir. Pendant 20 minutes, tout le monde rit à gorge déployée, tape des mains, chante! On sort de là détendu, avec l’envie de continuer.

La politesse et le politiquement correct veulent qu’on ne rie pas de tout. Le rire, disait Bergson, est provoqué par une rupture dans le discours ou un déséquilibre physique.

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Ainsi, imaginons le Pape, que tout le monde révère pourtant, donnant sa bénédiction, et glissant sur une peau de banane. Il se retrouve par terre avec son goupillon d’un côté, sa mitre de l’autre. Malgré le très grand respect qu’on lui doit, la plupart des fidèles vont éclater de rire avant d’être consternés.

Mais le rire n’est pas le même dans toutes les cultures. On l’a bien vu avec les caricatures de Mahomet qui ont plus scandalisé que fait rire.

D’ailleurs, d’une manière générale, les religions ne font pas beaucoup rire. Les Pères de l’Église ont même interdit le rire avec la bouche ouverte, parce qu’il est comme «montrer les bas fonds de notre corps». D’autres l’ont interdit «parce que Jésus n’a jamais ri». Je ne le crois pas. Sauf à la fin.

Le rire qui n’est pas méchant rend le conteur sympathique. Si un garçon fait rire une fille, elle lui prêtera plus volontiers l’oreille qu’à un triste. Et j’ai entendu, récemment, dans une émission québécoise: «La fille que tu fais rire est à moitié dans ton lit!». Mais c’est encore un fait à vérifier statistiquement.

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