Riccardo Del Fra de passage à Toronto: le jazz comme une évidence

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Publié 15/01/2008 par Sandy Plas

Le contrebassiste de jazz Riccardo Del Fra était de passage à Toronto la semaine dernière, dans le cadre de la 35e réunion de l’International Association for Jazz Education (IAJE). Dans un entretien accordé à L’Express entre deux concerts donnés pour l’occasion, il revient sur son parcours.

Celui qui a joué aux côtés de Chet Baker pendant près de neuf ans est aujourd’hui une figure respectée dans le monde du jazz – il est lauréat du Django d’or en 2006 – et consacre son temps entre la composition et l’enseignement.

Une dolce vita aux airs de jazz

Sur la pochette de son dernier disque, Roses and Roots, sorti en 2005, on peut voir une photo de lui à trois ans, une guitare dans les mains. Riccardo Del Fra aurait pu devenir guitariste, mais c’était sans compter sur sa rencontre à l’âge de 17 ans avec le jazz et la basse. «Je me souviens encore de la première fois où j’ai touché une basse, c’était certainement maladroit, le son devait être mauvais, mais il s’est passé quelque chose de magique. Je me suis dit, c’est ça!», se souvient-il.

Riccardo Del Fra est né à Rome au milieu des années 1950. L’amour de la musique, il le porte comme un héritage, légué par sa mère, amatrice de musique et de cinéma: «Je m’aperçois aujourd’hui qu’elle m’a légué une sorte d’enseignement subliminal, c’est elle qui m’a amené à la musique.»

Son début de carrière s’effectue dans sa ville natale, au sein de l’orchestre de la RAI, principale chaîne de télévision italienne. Il travaille alors sur des musiques de film, pour la plupart tournés aux studios de Cineccita. Ses notes se poseront entre autres, sur la bande-son de La cité des femmes de Fellini.

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Puis vient la rencontre décisive, avec celui qui influencera à la fois sa vie et sa carrière: Chet Baker, trompettiste de génie et instigateur du «cool jazz», en référence à la douceur des sonorités de ce nouveau style musical.

«Je me rappelle encore précisément de la rencontre. C’était en 1979, je jouais avec un quartet dans une petite ville de province et Chet devait se joindre à nous. Comme ça lui arrivait de temps en temps, il est arrivé en retard et nous n’avons pas eu le temps de répéter. On s’est alors mis d’accord pour jouer des standards et j’ai tout de suite senti une impression de facilité incroyable. Il se dégageait quelque chose de profond, d’épais et de très facile.

Chet avait un pouvoir de communication impressionnant envers son public et les musiciens qui jouaient avec lui. Ce concert n’a peut-être pas été parfait d’un point de vue technique, mais il a été décisif pour la suite de ma vie et de ma carrière», évoque t-il.

Le concert donne suite à un album, enregistré à Rome. Dès lors les deux artistes ne se quitteront plus, pendant près de neuf ans: «J’ai suivi Chet pratiquement jusqu’à sa disparition en 1988. Nous nous sommes produits dans le monde entier et il m’a ouvert les portes du milieu musical français, qu’il connaissait bien.»

Vingt ans après sa disparition, le trompettiste américain propage encore son influence. À l’image de ce dernier, on associe souvent à la musique de Riccardo Del Fra, l’image de notes chantantes, suivant de longues phrases se rapprochant d’une mélodie vocale.

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C’est aujourd’hui avec recul qu’il analyse cette période: «Jouer avec Chet Baker pendant toutes ces années reste une expérience extraordinaire. Même si je fais aujourd’hui de la musique quelque peu différente, je reste marquée au niveau de la pensée, de la conception, de la profondeur. J’ai gardé cette idée du meaning, de la signification: chaque note doit dire quelque chose, aucune n’est anodine.»

À l’occasion des vingt ans de sa disparition, son album hommage A sip of your touch – sorti en 1989 – a été réédité. Le public peut donc redécouvrir cet album signé par l’artiste, dont les productions personnelles se font rares. Loin d’être en retrait de la scène musicale – il est le contrebassiste titulaire de divers groupe, dont Barney Wilen et s’offre également de jouer aux cotés de solistes et de jazzmen du monde entier – cette production au compte-gouttes s’inscrit résolument comme un choix: «La musique doit s’inscrire dans le temps et prend du temps. Je suis désolé par la surproduction actuelle dans le milieu de la musique, un disque par an, ce n’est pas tenable! Je préfère produire moins, mais que ma musique reste dans le temps, qu’elle raconte une histoire qui va rester.»

Des notes mêlées au 7e art

Sa carrière est également intimement liée au cinéma. On se souvient de l’amour de sa mère pour le 7e art et de ses débuts avec l’orchestre de la RAI. Il suit aujourd’hui cette lignée et travaille régulièrement comme compositeur de bandes originales. La dernière en date remonte à 2005, avec le film La raison du plus faible de Lucas Belvaux. «J’affectionne beaucoup cet exercice. La démarche est légèrement différente pour la composition car je dois suivre avant tout les désirs du réalisateur, son univers. Mais le principal reste la mélodie et la teinte qu’on veut lui donner.»

Toutes ces expériences, il tente aujourd’hui de les enseigner à ses élèves du conservatoire de Paris. Responsable depuis septembre 2004 du Département jazz et musiques improvisées du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), il a fait participer ses élèves à ses enregistrements.

Il en accompagne aujourd’hui certains à Toronto à l’occasion de la 35e réunion de 
l’IAJE, regroupant tous les acteurs de la musique jazz, des musiciens, aux labels, en passant par les agents. Concerts, débats et réseautage sont organisés pour l’occasion.

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Enfin, c’est avec émotion qu’il rend hommage à Oscar Peterson, disparu en décembre dernier: «Oscar Peterson possédait une facilité technique époustouflante, mais au-delà de ça, il avait le pouvoir d’apporter de la lumière et du bonheur là où il jouait. C’est une grande perte pour la musique.»

Pour l’heure, Riccardo Del Fra continue de tracer son chemin dans le sillage de ces grands noms et s’inscrit dans le paysage musical comme un des contrebassistes de jazz les plus respectés au monde.

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