Révolte contre la dictature: les Égyptiens de Toronto entre fierté et inquiétude

«L’Égypte au fond de mon coeur»

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Publié 08/02/2011 par l-express.ca

Dina Elkasir

29 ans, née au Canada de parents égyptiens. «Je suis née au Canada mais cette révolution m’a montré que l’Égypte était quand même bien ancrée dans mon coeur.»

J’étais initialement très heureuse et fière que les Égyptiens aient tenu tête au régime Moubarak. C’est la première fois qu’un si grand nombre d’entre eux ont pu s’exprimer; on pouvait voir qu’ils étaient réprimés depuis longtemps.

Il y a beaucoup de similarités entre la chute du communisme en Europe de l’Est en 1989 et ce qui se passe présentement en Égypte, le plus apparent étant le contrôle des médias. Depuis le début des manifestations, les Égyptiens ont perdu leurs connexions à l’Internet et au téléphone mobile, et leurs commentaires ont été effacés sur Facebook. Des fausses nouvelles sont diffusées à la télé. Des journalistes sont arrêtés.

Le Canada devrait appuyer les manifestants égyptiens qui veulent la démocratie. Je me sens coupable de prendre pour acquis ici les droits fondamentaux. Tout le monde devrait appuyer les droits humains.

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L’action de Moubarak démontre qu’il ne s’intéresse pas au bien-être des Égyptiens. Son discours a incité ses partisans à attaquer les manifestants. On ne peut pas lui faire confiance, et d’ailleurs il continue de censurer les médias. On ne peut pas oublier les 10 derniers jours, encore moins les 30 dernières années!

Les Frères musulmans ne sont pas nécessairement mauvais, surtout s’ils font équipe avec le prix Nobel de la Paix Mohamed El Baradei et d’autres chefs respectés. Je n’aime pas que les gens comparent les Frères musulmans au terrorisme; c’est de l’islamophobie.

Il n’y a pas que la dictature et le fondamentalisme religieux. Je ne veux pas voir les intégristes au pouvoir et je ne connais personne qui souhaite ça. Il y a 80 millions d’Égyptiens. Ils n’ont pas tous le même point de vue. Je ne peux pas prédire de quel côté ils vont voter, mais je pense qu’ils ont le droit de voter pour qui ils veulent.

À l’heure actuelle, les enjeux importants sont le prix du pain et du sucre. Les Égyptiens doivent penser à eux-mêmes: le reste du monde doit réaliser que c’est d’abord l’affaire des Égyptiens.

Idéalement, j’aimerais que les droits fondamentaux soient appliqués dans tout le Moyen-Orient. Les gens veulent vivre en paix. Des élections libres et justes doivent être organisées.

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«Les jeunes veulent se débarrasser d’un régime corrompu»

Sarah Hashem

28 ans, née en Égypte, au Canada depuis 1995. «Mes parents ont décidé de quitter l’Égypte pour l’aventure! Je n’ai que de très beaux souvenirs de mon enfance là-bas. On avait déjà des membres de notre famille installée ici.»

Je ressens une joie et une fierté énorme d’appartenir à ce peuple! Les jeunes Égyptiens ont démontré un courage et une détermination incroyable qui a touché des cœurs aux quatre coins du monde. Ils sont vraiment des héros qui nous rappellent que rien n’est impossible! C’est inspirant et ça me donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

À mon avis, la chute du communisme était dirigée par des forces externes tandis que les événements en Tunisie et en Égypte sont dirigés par leurs peuples. Il est clair aussi que la révolution de 1989 en Europe a marqué la naissance de la prédominance américaine tandis qu’une série de révolutions au Moyen-Orient représente une menace à l’ère américaine.

Le Canada n’a qu’à démontrer un soutien pour les droits des manifestants en Égypte et condamner la violence contre les manifestations paisibles.

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Je crois que Moubarak est un homme arrogant et têtu. Le message des jeunes a toujours été très clair, ils veulent se débarrasser du régime corrompu en Égypte et établir un nouveau régime basé sur la démocratie et la justice. Ceci n’est pas possible sous le leadership de Moubarak. Après 30 ans, nous avons perdu toute confiance dans sa capacité à résoudre nos problèmes, surtout après les actes criminels et violents commis contre les manifestants paisibles par les partisans de Moubarak.

L’idée que les Frères musulmans vont prendre le pouvoir en Égypte est une tentative par le régime actuel pour préserver son pouvoir. Les extrémistes forment une minorité au sein de la population égyptienne et je ne vois pas de risques qu’ils prennent le pouvoir tant que les élections seront faites d’une façon démocratique.

Je vois un Moyen-Orient en train de se rebâtir petit à petit, mais surtout je vois un peuple qui a brisé les murs de la peur une fois pour toutes! Je suis autant Canadienne qu’Égyptienne et j’ai vécu au Canada plus qu’en Égypte, mais si j’avais la chance de contribuer à l’amélioration de mon pays natal, je n’hésiterais pas à y retourner, même pour peu de temps.

«Le Canada ne devrait pas intervenir»

Rashid Abuodeh

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29 ans, né au Canada, mais «j’aimerais bien vivre en Égypte ou au Moyen-Orient pendant quelque temps».

Je croyais au début que ces manifestations en Tunisie et en Égypte ne dureraient que quelques jours et seraient brutalement réprimées par les forces de sécurité. De toute évidence, le mouvement était beaucoup plus important.

Le problème de renverser un dictateur c’est que celui qui le remplace doit être fort lui aussi. Dans le cas de l’Égypte, le départ de Moubarak risque de créer un vide qui va causer plus d’affrontements.

J’ai perdu confiance envers le gouvernement canadien, particulièrement sous Harper, en matière d’affaires étrangères. Le régime Harper a ruiné la crédibilité du Canada sur la scène politique internationale. Je pense que le gouvernement canadien ne devrait pas intervenir plutôt que de faire quelque chose de stupide.

Moubarak est un lâche qui cherche à s’accrocher au pouvoir. Je suis particulièrement dégoûté de le voir envoyer ses brutes attaquer les manifestants dans la rue. Cela montre à quel point il est désespéré.

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S’il reste jusqu’en septembre, je crains que rien ne change. Mieux vaut qu’un gouvernement provisoire sous supervision internationale ramène la stabilité et organise des élections. Pendant cette transition, tous les partis politiques doivent pouvoir s’exprimer librement.

Les Frères musulmans ne sont pas le genre d’islamistes que les Américains agitent comme des épouvantails. Ils sont beaucoup plus progressistes et rationnels. Je ne pense pas, par exemple, qu’ils vont s’associer avec le Hamas et provoquer une guerre avec Israël.

Plus que la Syrie, la Jordanie est peut-être le prochain pays où les gens vont demander des réformes. Le coût de la vie y est très élevé et les tribus de Bédouins se sentent négligées par le roi, qui préfère traiter avec les gens d’affaires et qui mène un train de vie luxueux. Les Palestiniens vont peut-être eux aussi commencer à exiger davantage de leur gouvernement, ce qui va aussi mettre la pression sur Israël.

«Il faut croire aux miracles»

Lilianne Sedfawi

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36 ans, née en Égypte, au Canada depuis 2004: «J’ai quitté l’Égypte car, comme beaucoup d’Égyptiens, je ne trouvais plus ma place ni une identité à défendre.»

Le Canada comme les autres pays «d’influence» ne peuvent pas faire grand-chose à présent. Ça va dépendre de comment les choses vont tourner. Mais il y aura définitivement un jour, un rôle à jouer. On va juste espérer que ce ne sera pas un rôle militaire pour essayer de maintenir la paix dans un pays en guerre.

Avec des slogans comme : «La mort ou la liberté», je pense que c’est trop tard pour penser qu’il y a une chance que le peuple accepte que Moubarak reste en place jusqu’en septembre.

La réaction de Moubarak est typique de lui, celle d’un roi déchu qui croit encore en son pouvoir. Néanmoins, je comprends quand il dit que s’il quitte tout de suite, il y aura le chaos, mais il fallait y penser il y a 15 ans. Le peuple sait très bien à présent que Moubarak ne sera plus là en septembre (ni son fils d’ailleurs) donc, la partie est à moitié gagnée je dirais, même si c’est vers l’inconnu.

Pour la première fois depuis très longtemps, tout un peuple se sent capable et libre tout d’un coup de décider de ce qu’il veut maintenant.

En tant que chrétienne, je pense que si des «extrémistes» sont au pouvoir, ce serait la guerre civile en Égypte, ou la guerre encore une fois avec Israël, ou même dans toute la région? Ou bien, ce serait juste une nouvelle dictature bien organisée et bien fermée. Ce n’est pas très prometteur en tout cas.

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Il faut croire aux miracles dans cette partie d’échecs largement jouée à l’aveuglette. Un de mes amis décrit l’Égypte comme un pays assez moderne, et donc, on pense que si jamais un jour prochain on arrive à avoir une vraie démocratie en Égypte, ce pays va énormément prospérer et par son emplacement stratégique, inclure les pays du Maghreb et du Moyen-Orient vers un futur libre, paisible et florissant.

«Les Frères musulmans, juste par leur nom, éliminent l’existence de 10 à 15 millions de concitoyens chrétiens»

Youssef M.

61 ans, né en Égypte, au Canada depuis 1989. «Je suis copte (chrétien d’Égypte). L’Islam, cette grande religion et culture que je respecte beaucoup, ne ressemble en rien à ces régimes théocratiques qui exploitent leurs peuples au nom de la religion. Alors même si j’étais musulman croyant, j’aurais sûrement quitté mon pays. Je voyais tout cela venir il y a vingt ans!»

 
La Tunisie et l’Égypte sont deux animaux complètement différents. La Tunisie n’aura aucune difficulté à établir un État laïque, libéral et démocratique. L’homme égyptien est un homo religiosis comme l’a exprimé un journaliste du Monde. Alors je ressens de la joie pour ces jeunes qui veulent changer leurs pays, et une inquiétude parce que les Frères musulmans n’auront aucune difficulté à s’approprier les sacrifices de ces jeunes.
 
L’Europe de l’Est s’est libérée du communisme pour embrasser un régime démocratique et libéral. L’Égypte par contre se débarrasse d’une dictature militaire pour se jeter dans les bras d’une dictature théocratique: les Frères musulmans, qui, juste par leur nom, éliminent l’existence de 10 à 15 millions de concitoyens chrétiens qui ne seront ni leurs frères ni musulmans, sans oublier les intellectuels libéraux musulmans qui veulent vivre librement.
 
Le Canada ne devrait apporter aucune aide financière, car ça finirait dans les poches d’une clique d’opportunistes. C’est par l’éducation que le Canada pourrait aider. J’aimerais que nos cadres politiques absorbent l’exemple du Canada où des douzaines d’ethnies différentes vivent en parfaite harmonie, précisément parce que le système a oublié leurs différences (race, sexe, religion…) et les gens sont traités en «êtres humains».
 
Que Moubarak parte maintenant ou dans quelques mois, cela ne fait aucune différence selon moi. L’oppression politique des militaires est plus supportable, tandis que les religieux crient démocratie et en même temps veulent appliquer la Sharia. Démocratie, c’est le peuple qui gouverne; sharia, c’est Dieu qui gouverne… Une fois au pouvoir les religieux seront «les représentants de Dieu» sans toutefois nous montrer une procuration claire de ce Bon Dieu! 

«La révolte iranienne nous avait fait rêver et on sait ce qui s’en est suivi»
Rachida M’Faddel (auteure marocaine-canadienne)

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(Voir l’article sur le Centre culturel marocain)
47 ans, née au Maroc, au Canada depuis 2000 «pour donner la chance à mes enfants de vivre dans un pays qui offre des opportunités d’avenir et la chance de réaliser des rêves».

Je ressens de la joie pour la Tunisie, mais de l’inquiétude face à la menace de la radicalisation de l’Islam en Égypte. La stabilité de la région est remise en question face au désordre engendré par les révoltes et le vandalisme.

Les masses arabes sont révoltées contre les systèmes dictatoriaux, mais ne sont pas organisées afin de mettre en place un gouvernement non corrompu. J’ai peur de ce qui peut arriver. La révolte iranienne en 1979 nous avait fait rêver et on sait ce qui s’en est suivi. L’Iran est devenu pire que du temps du Shah.

Le Canada peut aider à mettre en place un processus de transition en chapeautant une élection présidentielle.

Moubarak veut gagner du temps, mais il faut qu’il s’en aille et que des élections soient tenues rapidement. En attendant, il faut mettre en place un gouvernement intérimaire.

Les masses ont perdu espoir dans les gouvernements, mais gardent leur confiance envers les Frères musulmans qui sont présents activement en apportant de l’aide financière et matérielle aux démunis.


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Ce qui s’est passé en Tunisie, en Algérie et en Égypte a réveillé les masses soumises. La révolte continuera de gronder. Mais les représailles en Égypte vont refroidir les velléités de révolte au Yémen.

Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup de changement. En Afghanistan et en Iran, on n’a rien constaté d’extraordinaire après les talibans et le Shah. Tout va se replacer et le peuple continuera de survivre pendant que les nantis continueront de s’engraisser.

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