Raconte-moi un musée

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Publié 09/05/2006 par Marta Dolecki

«Le rôle des musées dans notre relation avec les œuvres d’art est si grand, que nous avons peine à penser qu’il n’en existe pas […] Nous en vivons encore et oublions parfois que les musées ont imposé aux spectateurs une relation toute nouvelle avec l’œuvre d’art», écrivait André Malraux, en 1947, dans Le Musée imaginaire.

Plus d’un demi-siècle plus tard, ses remarques prévalent toujours. Partout dans le monde, le musée demeure un lieu mental, espace de liberté, qui s’attache à inscrire un éphémère dans une éternité durable. Il sert d’aide-mémoire précieux à toute une collectivité désireuse d’en apprendre plus sur son passé.

Savamment disposées au gré des différentes galeries, les œuvres d’art habitent l’espace, replacées dans le contexte d’une époque. Dans ces mêmes sanctuaires silencieux et propices à la réflexion, elles s’interpellent et s’interpénètrent en une symphonie de formes et de couleurs. Les sens du spectateur sont alors sollicités et une visite au musée lui permet de vivre l’art comme une expérience précieuse et rare.

En Ontario, le mois de mai est aussi celui des musées. Pour l’occasion, l’Association des musées de l’Ontario a mis sur pied toute une gamme d’événements spéciaux: ateliers, conférences et concerts organisés, un peu partout, dans les 600 musées, lieux historiques et galeries d’art de la province.

Cette année, plutôt que de faire le compte-rendu des différentes activités à venir, L’Express a préféré recueillir les témoignages de trois personnalités bien connues de la communauté francophone de Toronto. Trois regards, trois femmes artistes qui font part du rôle que les musées ont joué pour elles, à la fois dans leur vie personnelle, et, parfois, dans l’éveil de leur conscience artistique.

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Une expérience sensorielle

Par manque de temps, Lisa Fitzgibbons ne se fait pas un devoir d’aller au musée, systématiquement, à chaque semaine, comme si c’était devenu pour elle une véritable religion. Ce qui ne l’empêche pas de comparer chacune de ses visites à une expérience quasi-mystique.

«Moment de grâce, de recueillement», «visite transformative», l’artiste visuelle, cinéaste et photographe à ses heures, parle de son rapport aux musées en ces termes. Elle a visiblement du mal à cacher son affection pour ces lieux tapissés d’histoire qui, dit-elle, l’inspirent autant qu’ils l’apaisent.

Mme Fitzgibbons explique qu’elle a découvert le pouvoir que pouvait véhiculer une œuvre d’art alors qu’elle était dans la vingtaine. C’était au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM), lors d’une exposition de l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz.

«Je me rappelle de cette exposition de sculpture avec des moules de corps humains qui n’avaient ni bras ni tête, raconte-t-elle. On pouvait voir de centaines de corps assis, alignés dans une grande salle. La force de l’œuvre était amplifiée par le lieu où elle se trouvait. Cependant, à l’époque, je ne me serais pas faite la réflexion, j’avais simplement eu le souffle coupé par l’œuvre elle-même», se souvient Mme Fitzgibbons.

Une expérience olfactive

Claudette Gravel est animatrice-réalisatrice à la radio de Radio-Canada. Quand elle ne travaille pas, elle peint, écrit des nouvelles, des poèmes, et s’adonne également à la photographie.

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Pour elle, une visite au musée est une expérience à la fois déambulatoire et olfactive. Une ballade au gré des maisons d’un ancien village de pionniers ou, encore, le simple fait de franchir le pas d’un vieux musée vont réveiller chez l’artiste des émotions reliées à l’enfance. À cet égard, Claudette Gravel raconte qu’elle aime particulièrement se promener au Village des pionniers de Black Creek, situé au nord de Toronto.

«Je vais d’une maison à l’autre, je prends des photos des bâtisses, des gens qui sont habillés comme au début du XXe siècle. Ce centre de pionniers me rappelle beaucoup l’enfance, mon grand-père, dit-elle dans un sourire. Il me semble que les odeurs des maisons sont restées les mêmes. C’est agréable et sécurisant. De façon générale, j’aime beaucoup les choses anciennes», justifie-t-elle encore.

De même, rien ne lui fait plus plaisir que de déambuler dans les rues du centre-ville, direction, le petit musée de la poste, situé sur Adelaïde. Pendant qu’elle fait son courrier, Claudette Gravel en profite pour renouer avec cette même odeur de choses anciennes qui la fait sourire et se sentir bien.

Une transmission, de mère à fille

Pendant des années, la pianiste torontoise Ève Egoyan a étudié le répertoire classique en Europe. Elle avait alors pour habitude de fréquenter les musées des pays où elle séjournait, que ce soit en Angleterre, à Londres, ou encore en Allemagne, à Berlin. Jusqu’à aujourd’hui, elle se souvient de ces visites au musée comme d’autant de moments de contemplation et de sérénité extrême.

Selon elle, les musées constituent une retraite paisible qui -permet d’opérer une rupture avec la rue, le quotidien, loin du bruit et de l’agitation du monde extérieur.

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Aujourd’hui cette dynamique de contemplation, face à face avec la création, est quelque peu interrompue puisque Mme Egoyan est désormais maman d’une petite fille de deux ans prénommée Viva Anoush. C’est maintenant à travers les yeux de sa fille qu’Ève Egoyan apprend à regarder les œuvres d’art. De la même façon, elle se tient à l’écart du circuit des galeries traditionnelles et se rend davantage dans la section consacrée aux enfants.

«Mes visites au musée se font de façon totalement différente, fait-elle savoir. Mais là encore, c’est une expérience intéressante. Le rythme avec lequel je dois absorber les œuvres est beaucoup plus rapide, car il faut garder ma fille intéressée. Je dois interpréter l’œuvre d’art essentiellement à travers ses yeux, ce qui signifie que je dois parler du chien ou de tout autre animal qui se trouve sur la toile, penser à des petits détails spécifiques facilement identifiables pour une petite fille de deux ans. Cependant, en effectuant ce même travail, j’en arrive moi-même à voir toutes sortes de choses que je n’aurais pas vu autrement», conclut Mme Egoyan.

Les personnes intéressées par les activités proposées dans le cadre du Mois des musées peuvent consulter la liste des événements spéciaux sur le site Internet de l’Association des musées de l’Ontario. www.museumsontario.com

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