Quand un ministre critique les magistrats

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Publié 01/03/2011 par Gérard Lévesque

«Permettez-moi de vous donner deux exemples des problèmes pratiques de la complaisance dont la Cour fédérale a fait preuve dans divers appels et révisions… des problèmes comme celui-ci sont trop souvent créés par des juges qui se permettent de réviser sans ménagements les décisions prises par les décideurs quasi judiciaires spécialisés qui sont expressément chargés de rendre ce genre de décisions dans notre système… Les tribunaux créent aussi un problème lorsqu’ils infligent des peines criminelles pour déjouer le système canadien de l’immigration… Ce qui irrite les Canadiens, ce sont les affaires dans lesquelles, vraisemblablement sur un coup de tête ou peut-être inspiré par une magnanimité déplacée, un juge infirme les décisions que des fonctionnaires spécialisés, des tribunaux administratifs ou même d’autres juges ont soigneusement élaborées. Je crois que la plupart des Canadiens et des Canadiennes partagent mes préoccupations en ce qui concerne ces décisions… Elles minent par ailleurs la confiance du public envers la capacité du gouvernement à faire respecter les lois adoptées par le Parlement et, par conséquent, envers tout le système… Il est nécessaire que les tribunaux comprennent l’esprit de ce que nous tentons de faire.»

C’est en ces termes que, lors d’une allocution prononcée le 11 février 2011 à la Faculté de droit de l’Université Western Ontario, à London, Jason Kenney, le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, a ouvertement critiqué les juges qui interprètent les lois d’une façon qui ne coïncide pas avec le programme politique du gouvernement.

Selon l’Association du Barreau canadien (ABC), les critiques injustes du ministre portent atteinte à notre démocratie et à nos libertés et contribuent à effriter la confiance du public et à affaiblir l’administration de la justice.

Dans une lettre envoyée le 22 février 2011 au ministre, le président de l’ABC, Rod Snow, écrit:

«Puisque les juges n’ont pas le droit de répondre à des critiques dans l’arène publique, votre invitation ouverte à la Cour fédérale de s’engager dans un dialogue constructif se veut soit naïve, soit trompeuse. Je crains que vos propos n’aient été partisans et injustes, étant donné que les membres de la magistrature ne peuvent y répondre.»

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Les avocats ontariens exerçant dans le domaine du droit des réfugiés et de l’immigration ont également réagi aux propos du ministre.

Selon leur présidente, Me Geraldine MacDonald, de Toronto, les commentaires du ministre constituent une attaque de l’indépendance de la Cour fédérale et révèlent un scandaleux manque de compréhension du rôle des tribunaux dans la démocratie canadienne.

«The conclusion to be drawn is that the Minister is trying to influence the Court to decide cases in the Minister’s favour, which is untenable. …The thrust of the speech is to encourage the Court to rubber-stamp decisions made by the Ministry’s appointees and officials, contrary to the concept of an independent judiciary…As disturbing as their intemperate tone is the fact that the Minister’s criticisms appear to demonstrate a cavalier attitude towards facts and logic… it leaves the impression that the Minister expects that the courts must rule entirely in his favour. This is a dangerous and undemocratic attitude for a Minister of the Crown to hold.»

Si un ministre estime que l’interprétation judiciaire d’une loi est contraire à son intention, il a l’option d’en appeler de cette décision ou de modifier cette loi. Il ne peut blâmer le juge si la décision ne soutient pas le programme politique du gouvernement.

Pour plus de renseignements:

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Texte de l’allocution du 11 février 2011 du ministre Jason Kenney:

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=- 751102913&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=4510

Texte de la lettre envoyée le 22 février 2011 au ministre Kenney par le président de l’Association du Barreau canadien:

http://www.cba.org/ABC/Memoires/pdf/11-12-fr.pdf

Communiqué de l’association ontarienne des avocats exerçant dans le domaine du droit des réfugiés et de l’immigration:

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=2137985599&voir=centre_detail&Id=4512

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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