Quand les marques de commerce deviennent des noms communs

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Publié 02/02/2021 par Michèle Villegas-Kerlinger

Apple, Google, Microsoft, Amazon, Facebook, Coca-Cola, Samsung, Disney, Toyota, McDonald’s… Ce sont les plus grandes marques du monde en 2021.

En fait, Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft sont connus sous l’acronyme GAFAM pour désigner les géants américains de la Toile.

L’influence qu’exercent ces grandes entreprises sur les consommateurs ne devrait pas être sous-estimée. Google et compagnie sont en train de changer du tout au tout notre façon de voir le monde, de penser et même de parler.

Googlez-vous?

Avez-vous jamais entendu quelqu’un dire qu’il (elle) allait «googler» quelque chose au lieu d’aller sur Google ou de faire une recherche (sur) Google?

Le Petit Robert cautionne le verbe «googliser» au sens de «rechercher des informations sur Internet avec un moteur de recherche», et ce, même si ce dernier est Yahoo ou Bing.

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Le dictionnaire en ligne Sansagent va plus loin et mentionne non seulement les verbes «googler» et «googliser», mais encore les termes «gougler, gougueler, googoliser, googlueuliser, googloter», tous conjugués comme un verbe régulier en -er.

Donc, on pourrait, en principe, dire et/ou entendre des choses comme «je google, tu as gouglé, il gouguelait, que nous googolisions, vous googlueuliserez et ils googloteraient».

Néologismes

C’est ce qu’on appelle un néologisme, c’est-à-dire un mot nouveau ou un sens nouveau donné à un mot qui existe déjà.

Ce qui sort de l’ordinaire dans le cas présent, c’est que ces termes trouvent leur origine dans des marques de commerce au lieu d’une autre langue.

Or, le français est une langue vivante dont les mots, comme les cellules du corps humain, naissent et meurent. Par conséquent, les néologismes en soi ne sont pas forcément mauvais.

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Mais remplacer sans raison un terme bien français par un autre qui ne l’est pas, et surtout par une marque de commerce, risque d’adultérer notre belle langue.

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Testons nos connaissances

Malheureusement, le terme «googler» est loin d’être le seul néologisme de ce genre à se faufiler dans la langue française. Voici deux petits exercices où vous pourriez le constater pour vous-même.

Exercice no 1

À gauche se trouvent vingt marques de commerce devenus des noms communs et classés dans différents domaines. Le terme français, tiré du Grand Glossaire des anglicismes du Québec de Jean Forest est à droite.

Couvrez les mots de la colonne de droite et essayez de deviner les termes français qui correspondent aux mots de la colonne de gauche. Notez bien que dans certains cas, il y aurait d’autres façons tout à fait acceptables de traduire ces derniers.

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Le bureau

Crazy Glue glu, colle forte
Liquid Paper liquide correcteur (terme retenu par l’oqlf)
Purolator service de messageries
Scotch tape scotch, ruban adhésif; gommette
Touch Tone à clavier

La nourriture

Cowbrand bicarbonate de soude
Crisco graisse végétale
Lifesavers pastilles de menthe; pastilles de fruits
Popsicle sucette glacée
V8 jus de légumes

La maison

Draino déboucheur
Electrolux aspirateur
Jacuzzi spa, bain bouillonnant ou tourbillon
Snuggle assouplisseur, assouplissant
Yale lock verrou de sûreté, verrou à clé

Le plein air

Coleman réchaud, camping-gaz; glacière
Jeep tout-terrain
Muskol chasse-insectes
Ski-Doo scooter des neiges, motoneige
Winnebago camping-car (ou autocaravane ≠ roulotte)

Maintenant, regardez les mots de la colonne de droite pour voir si vos réponses sont les mêmes. Résultats: entre 16 et 20 = très bien, 14 ou 15 = bien, 12 ou 13 = assez bien, 10 ou 11 = passable, 9 ou moins = pas bien

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Exercice no 2

Voici une petite histoire pour la Saint-Valentin. Vingt marques de commerce y ont remplacé les mots français correspondants, ce qui lui donne une saveur beaucoup plus commerciale que romantique. Pouvez-vous deviner les bons termes en français?

Pour le 14 février, nous avons préparé un petit souper pas très compliqué. Pas le petit TV dinner (1) habituel, sinon une bonne ratatouille avec de l’Oxo (2) qui avait mijoté pendant une bonne partie de la journée au Presto (3). Avec un Seven Up (4) rafraîchissant et du Jell-O (5) pour le dessert, c’était parfait.

Pour l’ambiance, on a mis un peu d’ordre dans la maison. Nous avons passé le Bissell (6), sans oublier le Windex (7) ni le Pledge (8). J’ai mis le Kodak (9) sur la table et un Post-it (10) sur le Frigidaire (11) pour ne pas oublier les bougies.

Ensuite, j’ai mis du Cutex (12) et du Spray Net (13) pour l’occasion. Pour ne pas demeurer en reste,

mon mari s’est coiffé au Brylcreem (14) et a chaussé ses Hush Puppies (15) qu’il venait de cirer au Kiwi (16).

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Notre souper a été un franc succès malgré un verre renversé sur la table, petit dégât qu’on a dû nettoyer à l’aide de Kleenex (17), faute de Scott Towels (18). Heureusement, on n’a pas eu besoin de Band-Aids (19) ni d’Alka Seltzer (20) comme l’année passée!

Réponses

Encore une fois, dans certains cas, il pourrait y avoir plusieurs réponses, mais voici celles du Grand Glossaire des anglicismes du Québec de M. Forest:

  1. plat cuisiné, plateau repas
  2. cubes de bouillon
  3. autocuiseur, marmite autoclave
  4. limonade
  5. gelée de fruits
  6. balai mécanique
  7. lave-vitre
  8. nettoyant à meubles
  9. appareil-photo
  10. papillon (adhésif amovible) (terme retenu par l’Office québécois de la langue française)
  11. frigo, réfrigérateur
  12. vernis à ongles
  13. laque
  14. brillantine
  15. mocassins
  16. cirage
  17. mouchoirs de papier, tire-jus (familier)
  18. essuie-tout
  19. (petit) pansement, sparadrap
  20. pastilles digestives

Résultats: entre 16 et 20 = très bien, 14 ou 15 = bien, 12 ou 13 = assez bien, 10 ou 11 = passable, 9 ou moins = pas bien

Ironie du sort, ces marques de commerce devenues noms communs désignent parfois le produit de la concurrence. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on se gargarise avec du «Listerine» alors qu’il s’agit d’un rince-bouche de marque «Scope», ou quand on récure une casserole avec un «SOS» bien qu’on utilise un tampon abrasif «Brillo».

Achetons local

Le fin mot de l’histoire est que la création de néologismes à partir d’une marque de commerce déforme notre belle langue.

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Par ailleurs, en achetant toujours de ces grandes entreprises, nous créons des monopoles. Dans les deux cas, les conséquences à long terme risquent d’être graves.

Notre langue s’appauvrira et nos choix de fournisseurs se limiteront de plus en plus à mesure que les grandes entreprises prospéreront aux dépens des petites.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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