Quand l’émotion est le tendon d’un roman

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Publié 24/11/2009 par Paul-François Sylvestre

Diplomate à la Délégation générale du Québec, Michel Leclerc a signé huit recueils de poésie, quatre romans et deux essais. Son plus récent ouvrage est le roman Une toute petite mort, paru aux Éditions Hurtubise. L’écriture est captivante, intense et dérangeante.

Dès les premières lignes, le narrateur Kevin raconte comment son père a été assassiné sous ses yeux à New York. Une mort passée inaperçue parce qu’elle a lieu le… 11 septembre 2001. Une mort noyée dans le gouffre de Ground Zero.

Pourtant, la mort unique de ce père aimé résonne encore dans le cœur et l’esprit de Kevin, sept ans plus tard. Pour contrer sa souffrance, il se réfugie dans son travail d’éditeur tout en consacrant du temps à sa mère, dont la mémoire s’effiloche dans un éternel oubli.

La vie de Kevin bascule en 2008 lorsque son regard croise le visage de l’assassin. Pour assouvir son désir de vengeance, il se lance corps et âme – avec la complicité tacite de son meilleur ami Teddy – à la recherche de tous les indices pouvant retracer celui qu’il tient en abomination. Le prix à payer? Une effroyable chasse à l’homme et de «troublantes» révélations sur l’identité réelle de son père.

L’adjectif «troublantes» est modeste. Ce qui nous est révélé s’avère pour le moins déstabilisant. Ce que nous apprenons au sujet du père de Kevin, au sujet de sa vie et de sa mort, ne ressemble aucunement à ce que le jeune homme avait «aimé et adoré jusqu’à ce qu’une explosion pulvérise le visage de son paternel.

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Au début du roman, l’auteur écrit que Kevin, plein de rancœur à l’endroit du destin, commence à désespérer de rencontrer un jour la trace de l’assassin inconnu. Comme il s’agit d’un roman, Leclerc multiplie allégrement les rencontres fortuites. Certains rebondissements semblent arrangés avec le gars des vues.

Le style de Michel Leclerc est finement ciselé. Quand il décrit une femme, le romancier ne manque pas d’originalité et d’humour. En voici un exemple. Teddy décrit sa nouvelle conquête en précisant d’abord qu’il a eu l’impression de tomber dans le Grand Canyon.

«Si tu voyais l’engin: ses jambes sont aussi longues que les colonnes du Parthénon.». Et son ami de répondre: «C’est bien la première fois que tu t’intéresses à l’art hellénique.» Ce qui entraîne tout de go la réplique suivante: «Il n’est jamais trop tard pour se cultiver.»

Leclerc sait peaufiner son texte et donner à ses phrases d’élégantes tournures. Au sujet de Teddy, le romancier écrit que «Les aléas de l’existence rôdent autour de lui sans l’atteindre, comme effarouché par son trop-plein d’optimisme et sa gaieté apollinienne.» Cet ami, ajoute-t-il plus loin, «avait toujours été un adepte des solutions prosaïques et des raisonnements annonciateurs de conclusions philosophiquement au-dessus de tout soupçon. Lâchement, je rendis les armes.»

Kevin et son ami aiment bien manger et bien boire dans ce roman. Il arrive parfois que le menu fasse froncer les sourcils. C’est le cas lorsque le vin dégusté est une bouteille de Château Haut-Brion 1959 à 7000 $.

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Pas étonnant que la conversation, ainsi finement arrosée, ne se loge qu’à l’enseigne de réflexions de haute voltige. La mort du père de Kevin devient dès lors un accident qui «dépouille un cadavre de sa quintessence ontologique».

Tel que mentionné au tout début, la mémoire de la mère de Kevin s’effiloche dans un éternel oubli. Elle vit dans une résidence de soins de longue durée. Et quand Kevin se confie à son ami au sujet des ravages de ce qu’on appelle «l’âge d’or», Teddy lui fait comprendre que «la vieillesse est faite pour épuiser les souvenirs en soi.» Ce n’est qu’un exemple des nombreuses réflexions qui animent ce texte aussi romanesque que philosophique.

La remarque qui nous interpelle le plus est la suivante: «Je ne souhaite à personne de faire face un jour à la destruction de ce qu’il a aimé. À cet instant, une part de vous-même se surprend hâtivement à mourir et vous engloutit à jamais.» Si l’argent est le nerf de la guerre, l’émotion peut bien être le tendon d’un roman.

Une toute petite mort aborde avec doigté les thèmes du deuil, de la honte et de la vengeance. Michel Leclerc nous plonge dans une intrigue haletante et bouleversante qui se lit à la fois comme un drame familial et un polar, mais surtout, avec l’urgence d’en arriver à la dernière ligne.

Michel Leclerc,Une toute petite mort, roman, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2009, 264 pages, 22,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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