Quand la musique est bonne

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 21/02/2006 par Dominique Denis

Difficile de croire que cela fait près de 15 ans que je m’adonne à l’exercice du bilan de fin d’année. Avec le temps, la volonté de cerner les tendances ou d’asséner des verdicts a cédé à un impératif plus modeste, personnel et honnête, celui du plaisir. Et si le cru 2005 a été plutôt chiche en grands plaisirs, il nous est néanmoins possible, en ratissant assez large, d’en retenir un certain nombre de petits bonheurs, sur lesquels il convient de revenir ici. Libre à vous d’y voir une liste de suggestions-cadeaux, que ce soit pour vous-mêmes ou pour les mélomanes dans votre vie. Bonne écoute et… bonne année!

Bïa – Cœur vagabond / Coração vagabundo (Audiogram)

Bïa concilie ses deux identités: brésilienne (de souche) et québécoise (d’adoption) en adaptant sept chansons françaises en portugais (ainsi, Bille de verre de Rivard et Le Forestier devient Estrela do Mar, tandis que L’eau à la bouche de Gainsbourg devient Ãgua na boca). Juste retour des choses, sept classiques brésiliens signés Chico Buarque, Caetano Veloso, Chico Cesar, Djavan et Cie se voient francisés le plus naturellement du monde, comme le faisait naguère Pierre Barouh. Résultat: un disque que les amoureux de bossa – et de chanson – recevront comme une caresse évanescente.

Robert Charlebois – Tout écartillé (La Tribu / Unidisc)

Malgré leur tonus et leur haute fidélité, la grosse poignée de classiques que Charlebois avait réenregistrée sous forme de best of il y a une dizaine d’années nous avait laissés un peu sur notre faim, comme quoi l’âme de ces chansons reposait dans la conjoncture assez particulière qui les avait vu naître.

Et l’éternelle Maudite Tournée semblait avoir enfoncé le clou. Car il faut le dire: rien ne remplace Charlebois en V/O, tant pour les folies improvisatoires du Jazz libre du Québec que pour les envolées de Louise Forestier (ah, ce California!) au service d’une musique à la fois ludique et dangereuse. En quatre cd, 58 chansons et 36 ans de carrière, Tout écartillé réitère, si c’était nécessaire, l’importance – et l’impact révolutionnaire – du vrai Garou.

Jean-Pierre Ferland/Artistes divers – Jaune / Jaune 2005 (GSI Musique / Sélect)

Que faut-il en penser? D’une part, le projet de remixage de Jaune 2005 peut être perçu comme symptomatique d’une panne d’inspiration en matière de chansons, contraignant les nouvelles générations à exploiter, par le biais des nouvelles technologies, le répertoire de leurs prédécesseurs.

Publicité

Une autre optique serait de dire qu’en revisitant avec beaucoup de liberté le magnum opus de Ferland, Kid Loco, Ariane Moffatt, Jérôme Minière et Cie en ont prolongé la démarche, mus par la même soif d’exploration sonore qui avait fait du microsillon la réponse québécoise à Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, et qui avait permis à Jean-Pierre d’enterrer définitivement le colonialisme yéyé et l’orthodoxie chansonnière. Avec ce joli coffret cartonné, vous disposez des deux versions, question d’en tirer vos propres conclusions.

Steve Reich – Different Trains (Disques qb / Ambiances magnétiques)

Quatuor Bozzini – Un des quelques chefs-d’œuvre du minimalisme américain qui sévissait il y a une trentaine d’années, Different Trains illustre le singulier génie de Steve Reich, qui a utilisé les inflections mélodiques de la parole comme point de départ à la composition.

Hypnotique et paradoxale, cette œuvre en trois mouvements se veut une réflexion quasi-documentaire sur l’holocauste (avant, pendant et après) pour quatuor à cordes (à la fois live et préenregistré) et bandes magnétiques, avec, comme fil conducteur, l’idée – et le rythme – du train. On peut remercier le Quatuor Bozzini d’avoir revisité cette partition à la fois mouvante et émouvante, qui n’avait jamais été reprise depuis que le célèbre quatuor Kronos l’avait enregistrée en 1988.

Claude Lamothe – Vivace (Analekta)

Sous les doigts et dans l’imagination de Claude Lamothe, le violoncelle s’adonne à de constantes métamorphoses, devient quatuor, orchestre, parfois même guitare électrique, canalisant tour à tour l’esprit de Bach, Piazzolla, Hendrix et Félix. Vivace (prononcer à l’italienne, per favore) est pour Lamothe l’occasion de construire un véritable espace sonore avec la complicité de Jacques Roy, qui collabore à la composition, aux arrangements et à la réalisation.

Il nous reste à souhaiter que la démarche rigoureusement éclatée du violoncelliste atteigne, avec cet opus 3 (le premier chez Analekta), le plus vaste public qu’elle mérite.

Publicité

James Ehnes / Luc Beauséjour – Bach: Sonates pour violon et clavecin, Vol. 1 (Analekta)

Après le petit miracle des sonates et partitas pour violons solo, le violoniste canadien James Ehnes revisite Bach en compagnie du claveciniste Luc Beauséjour. De dire qu’Ehnes joue comme il respire ne relève pas de la formule facile: par moments (surtout dans les pianissimos), on en oublie le bois, les doigts et le crin de l’archet, et le violon semble se transformer en instrument à vent.

Le défi, chez Bach, est d’aller chercher l’émotion tapie derrière la rigueur des formes sans toutefois céder aux épanchements romantiques. Mission accomplie: à la fois limpide et d’une justesse irréprochable, l’articulation de James Ehnes sculpte la musique avec une aisance quasi-improvisatoire. Cette année, quand la barbarie était à mes portes, c’est cet album-là qui l’a tenue à distance.

Ron Davis Trio & Shimmering Rhythm – Shimmering Rhythms (Autoproduction / www.RonDavisTrio.com)

Ron Davis a le génie de la polyvalence, le don de prêter à sa musique une infinie variété de formes (hard bop, klezmer, baroque, boogie) et d’humeurs (pastorale, malicieuse ou d’une mélancolie presqu’insoutenable), sans jamais sacrifier ce bonheur communicatif qui nous rend le pianiste torontois si attachant.

Shimmering Rhythm était une proposition casse-cou: au carrefour du jazz et du classique, tant dans son écriture que son instrumentation (trio jazz augmenté d’une clarinette, un alto, un violoncelle, auxquels se greffent par moments la contralto Jean Stilwell et l’effervescent saxophoniste Sacha Boychouk), l’album rappelle les fusions «Third Stream» des années 50.

Mais grâce à une écriture toujours mélodique et aux ingénieux arrangements de Tania Gill, Davis évite l’écueil de la pastiche académique. Shimmering Rhythm nous amuse, nous émeut, nous séduit, pour enfin nous convaincre de sa démarche.

Publicité

Alain Souchon – La vie Théodore (EMI)

D’accord, ce n’est pas un sommet en carrière (le magistral C’est déjà ça reste l’album à battre), mais dans la conjoncture actuelle, de se priver d’un nouveau Souchon équivaudrait à refuser de boire à l’oasis sous prétexte que l’eau y est tiède.

Fidèle à son personnage d’éternel mélancolique et à son vieux complice Laurent Voulzy (qui signe plusieurs des musiques), Souchon démontre sur La vie Théodore qu’il n’a rien perdu de sa lucidité (Et si en plus y’a personne est une réflexion impitoyable sur la foi et l’intolérance), ni de sa capacité de butiner au jardin du souvenir le miel doux-amer des regrets (J’aimais mieux quand c’était toi). Malgré ses quelques paresses, ce Souchon 2005 nous rappelle ce qui nous rend le chanteur si attachant – et indispensable.

Catherine Lara – Passe-moi l’ciel (Tréma / Universal)

Catherine Lara a toujours privilégié les grands gestes. Personne, dans le monde de la chanson, n’est plus loin de l’ironie et du détachement qui caractérisent notre époque.

Dans les mains d’une artiste aux talents moindres, un album comme Passe-moi l’ciel serait d’une lourdeur quasi insoutenable, mais avec la complicité d’Adrien Blaise et Jean-Jacques Thibaud (à l’écriture et à la réalisation), Lara nous embarque dans son univers passionné, qui ne dédaigne pas le pathos (La vérité sort de la bouche du métro) ni la mise à nu des sentiments, mais qui échappe au malaise impudique grâce à une plume intelligente et soignée.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur