Quand la mémoire est un antidote pour le futur

Blaise Ndala, Dans le ventre du Congo, roman, Montréal, Éditions Mémoire d’encrier, 2021, 368 pages, 29,95 $; Paris, Éditions du Seuil, 2020, 384 pages, 40,95 $.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 03/03/2021 par Paul-François Sylvestre

Avec Dans le ventre du Congo, paru simultanément aux Éditions du Seuil (Paris) et aux Éditions Mémoire d’encrier (Montréal), Blaise Ndala a écrit le roman qu’il aurait aimé lire à l’université «pour comprendre quand et comment les peuples d’Afrique noire et ceux de l’Europe occidentale ont échoué, à la fin du XIXe siècle, à faire de leur rencontre un moment d’humanité».

Le Congo belge

L’ouvrage de 350 pages raconte l’histoire de la princesse Tshala Nyota Moelo qui s’affranchit des codes d’une des plus prestigieuses monarchies du Congo précolonial.

Séduite par un jeune colon belge, elle aboutit dans le dernier zoo humain de l’Europe, c’est-à-dire dans le «village congolais» de l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles en 1958, où l’on retrouve l’œuvre coloniale dans toute son ignominie.

Page après page, à travers les péripéties de la princesse Tshala et de sa nièce qui tente de retrouver ses traces, se dévoilent la mémoire féconde de l’Afrique et un monde incapable de se réinventer.

Patience

Dans le ventre du Congo se veut «le roman de la pacification des mémoires pour celles et ceux qui, de Kinshasa à Bruxelles, espèrent sans y croire, que le passé puisse passer un jour».

Publicité

Dès les premières pages, l’auteur présente une brève chronologie libre de l’ex-Congo belge, de 1885 à 2005. Le roman, lui, n’est pas linéaire et le croisement temps-espace m’a un peu dérouté. J’avoue qu’il faut faire preuve de patience et de détermination pour naviguer d’un bout à l’autre de cet ouvrage écrit et inscrit dans divers registres.

Briser les chaînes

Blaise Ndala se fixe un objectif de taille: «le but véritable est de délivrer la parole qui défait les nœuds, brise les chaînes et éclaire la route du marcheur […] parce qu’il n’y a que le pouvoir de la parole pour recoudre la camisole de l’honneur perdu sous le regard scrutateur des gardiens de la mémoire.»

Tel un prophète, Ndala n’a pour toute arme que les mots qui jaillissent «des recoins les plus illuminés de son âme tourmenté». Ces mots ont une force plus grande que le tonnerre, ont le pouvoir de se faire entendre par l’Afrique tout entière et d’ébranler la nation noire.

Le roman se penche sur la résistance de diverses ethnies à l’État indépendant du Congo (1885), propriété exclusive du roi Léopold II. Les pages sont «ce fleuve qui coule vers l’embouchure et qui jamais ne cherche à rebrousser chemin».

Expo 58

J’aurais préféré qu’une plus large place soit accordée à Expo 58, à une analyse socio-politique de ces femmes et hommes montrés dans un parc pour «nourrir notre curiosité à l’égard du sauvage».

Publicité

Le romancier préfère signaler que leur présence permet, de toute évidence, «de légitimer une fois de plus l’entreprise coloniale comme projet de société, aux yeux de nos compatriotes qui auraient pu douter de ce que notre mission civilisatrice avait apporté aux indigènes d’Afrique centrale».

Style coloré

Le style est finement ciselé et parfois coloré. Quand une tante ordonne à sa nièce de se sauver, l’auteur écrit «Vite, je te dis! Emprunte à l’épervier ses ailes ou à la biche ses sabots, mais cours plus vite que le vent…»

Il y a même un brin d’humour. Lors de l’Expo 58, un Pygmée exige 1 franc pour montrer une fesse, 1,50 franc pour les deux; si vous lui donnez 3 francs, il baisse sa culotte jusqu’aux chevilles. On ne dit pas si des hommes s’en régalaient…

Un antidote

Dans le ventre du Congo ne cherche pas à faire de la mémoire un tribunal, plutôt de l’ériger en «antidote pour le futur, mais un antidote qui n’opère que pour autant que celui qui s’en réclame veuille faire un pari sur ce même futur».

Né en République démocratique du Congo, Blaise Ndala a étudié le droit en Belgique avant de s’installer à Ottawa en 2007. Il a publié J’irai danser sur la tombe de Senghor (L’Interligne, 2014) et Sans capote ni kalachnikov (Mémoire d’encrier, 2017).

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur