Publicité négative, stratagème gagnant?

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Publié 20/02/2007 par Yann Buxeda

«Stéphane Dion is not a leader.» Une phrase qui a déjà fait le tour du pays. En proposant une campagne de publicité négative à l’endroit du nouveau chef libéral, les conservateurs ont lancé la pièce en l’air. Pile ou face, ou plutôt quitte ou double, une tentative risquée qui se répand de plus en plus au Canada. Pourtant, les effets de la publicité négative sont encore bien mal maîtrisés et dénotent une situation de faiblesse de la part de ses instigateurs.

La campagne électorale n’est pas encore lancée que déjà, les premières escarmouches ont lieu. En finançant la production d’une série de six publicités négatives pour déstabiliser le clan Dion, les conservateurs ont adopté une stratégie agressive qui n’est pas sans rappeler les dérives électorales américaines.

Mais ce concept de dégradation de l’adversaire, né chez notre voisin du sud, n’est plus une pratique nouvelle au Canada. Pour autant, il est toujours aussi complexe d’en décrypter les impacts, tant les enjeux et les contextes diffèrent à chaque fois.

1993, effet pervers

Une campagne négative, c’est un couteau à double tranchant. Le Parti progressiste-conservateur en avait déjà exploré la face la plus sombre en 1993, alors que Kim Campbell, Première ministre sortante qui avait embrayé sur la lancée de Brian Mulroney, se trouvait en difficultés dans les sondages.

Une publicité mal ciblée avait provoqué une terrible descente aux enfers pour l’ensemble du parti. Au lieu de s’attaquer aux idées et au programme de son concurrent direct Jean Chrétien, la publicité présentait un visage déformé du leader libéral, se moquant ouvertement de sa paralysie faciale et de son défaut d’élocution. Une campagne très mal perçue qui avait plongé le parti dans l’une de ses pires périodes.

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Les libéraux avaient finalement allègrement remporté les élections, ne laissant à leurs adversaires que deux sièges à l’assemblée. Une gifle électorale qui avait amené à la démission de Kim Campbell, tandis que le Parti progressiste-conservateur perdait son statut de parti officiel.

2004, concept salutaire

La plus récente manifestation de publicité négative au sein du processus électoral est également celle qui en a montré tout le potentiel. Une opération menée de main de maître par les libéraux alors que Stephen Harper briguait son premier mandat face au controversé leader libéral Paul Martin.

En 2004, les libéraux étaient confrontés à un problème majeur. L’image du parti et de ses leaders, effritée par une décennie de gouvernance, ne parvenait plus à reluire auprès de l’électorat. Les Canadiens voulaient du changement, et la menace d’un pouvoir émergent à l’ouest pouvait le leur apporter. Car pour la première fois depuis 1993, le Parti conservateur avait su faire fi de ses divergences pour se ranger autour d’un seul dirigeant, l’Albertain Stephen Harper.

Au cours de la brève campagne électorale – elle ne dura que 36 jours – il était vite apparu que les messages positifs des libéraux ne parvenaient pas à renverser la tendance face à la montée des conservateurs. Quelques jours avant le scrutin, le parti de Paul Martin avait diffusé massivement des publicités négatives dans tous les médias, pointant du doigt certains sujets controversés comme le bilinguisme ou le droit à l’avortement.

Une stratégie à laquelle Stephen Harper n’avait pas répliqué. Au soir de l’élection, alors que tous les sondages précédents avaient placé les conservateurs à la tête du pays, la tendance s’était finalement inversée, léguant à Paul Martin les rênes d’un gouvernement minoritaire.

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Quel avenir pour 2007?

Ces deux exemples, piochés dans un panier garni, sont révélateurs du grand potentiel d’une chimère qui peut à tout moment se retourner contre son invocateur. Et cette campagne de dénigrement amorcée par les conservateurs, si l’on ne peut en prédire les retombées, prête tout de même à une analyse.

Il convient avant toute chose de souligner que pour la première fois, cette publicité négative intervient avant même le lancement officiel de la campagne. Un point sur lequel les libéraux se sont appuyés pour contester la légitimité de ces annonces, qu’ils qualifient d’électorales, mais ne seront pourtant pas décomptées du budget alloué pour la campagne.

Ensuite, une distinction s’opère entre les deux campagnes lancées conjointement par le Parti conservateur au Canada anglais, puis plus récemment au Québec.

Au Canada anglais, les conservateurs jouent sur l’image particulièrement floue de Stéphane Dion. L’accent est mis sur l’absence de leadership du chef du Parti libéral, afin de le définir avant même qu’il ne se définisse lui-même.

Une stratégie qui, selon le politologue Luc Dupont, peut s’avérer payante: «Généralement, l’impact de ces politiques de communication est difficilement quantifiable, mais dans ce cas, la cible est intéressante. Dion est un nouveau produit qui n’a pas encore fait ses preuves au Canada anglais. Les conservateurs peuvent très bien museler son éclosion potentielle.»

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Au Québec, le problème est beaucoup plus complexe. Les publicités s’attaquent à un autre champ de compétence. Pour Luc Dupont, l’approche est beaucoup plus maladroite: «Au Québec, ils ont joué la carte de l’humour facile, sans s’appuyer sur des déclarations tronquées du leader libéral. C’est beaucoup moins subtil, et l’univers un peu bédé ne se prête pas au sujet.»

Une opinion partagée par Christian Rouillard, lui aussi politologue mais spécialisé dans la communication: «Le propos est mis de côté, et c’est mal perçu par certaines franges de la population. Sur l’une des publicités, à l’atmosphère très “foire aux légumes”, on y découvre un découpage de Dion qui se dandine sur une musique country. Certains Québécois prennent un peu offense de cette caricature. C’est une mauvaise opération pour les conservateurs.»

Un scepticisme de mise

Il est difficile de prévoir le véritable impact qu’aura cette campagne. Pour le moment, une sensible hausse des intentions de votes pour le Parti conservateur semble s’amorcer (de 31 à 38 % en deux mois), mais les facteurs d’incertitudes empêchent d’en tirer des enseignements solides. D’autant plus que cette légère hausse des conservateurs intervient juste après la fin de ce que l’on pourrait identifier comme «l’effet Dion» avec sa surprenante victoire face aux éléphants Rae et Ignatieff.

Pour autant la stratégie adoptée par Dion en réponse à ces attaques divise les spécialistes. Pour Christian Rouillard, l’indifférence semble être la solution à privilégier: «Cette manoeuvre pourrait même provoquer un effet pervers, à savoir l’émergence d’un capital sympathie pour la victime. Au Canada anglais, la publicité a été déclenchée très tôt, et les Canadiens se disent peu touchés par cette forme de propagande. Et au Québec, la cible semble avoir été manquée car trop portée sur la caricature.»

Mais selon Luc Dupont, l’absence de réponses pourrait aussi «être considérée comme un manque de caractère et une accréditation implicite des propos tenus à son encontre». Des analyses qui se confrontent, même si au final, il sera complexe de quantifier l’incidence du stratagème dans quelques mois.

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