Procuste serait-il de retour?

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Publié 25/02/2014 par Gabriel Racle

Procuste de retour? C’est une question que l’on peut se poser, alors que ce nom réapparaît, tiré des profondeurs de l’Antiquité, dans des titres de livres ou de sites Internet. Quelle serait la raison de cette réapparition? Faut-il s’en alarmer?

Procuste, en effet, n’a pas une très bonne réputation, loin de là.

Dans la mythologie grecque la plus ancienne, le bandit Procuste sévissait le long de la route qui joignait Athènes à Éleusis. Il attirait les voyageurs dans sa demeure où se trouvaient un grand lit et un petit lit. Dans le premier, il obligeait les visiteurs de petite taille à se coucher, et dans le petit, les grands.

Pour les grands, il coupait les membres qui dépassaient. Quant aux petits, il les étirait jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille requise. Thésée, roi-fondateur mythique d’Athènes, l’a mis à mort en lui infligeant le même supplice. Par la suite, l’histoire légendaire a réduit les deux lits à un seul.

Un symbole

C’est désormais symboliquement que Procuste est mentionné de nos jours, et son lit et l’action de nivellement ou d’uniformisation qui s’y rattache en forme la principale évocation.

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Mais Procuste n’avait pas complètement disparu dans ses allégories mythiques. Les amateurs de poésie peuvent relire le sonnet de Sully Prudhomme (1839-1907), Le lit de Procuste, dans son recueil Les Vaines Tendresses.

En 1882, Michel Bakounine, penseur anarchiste russe, écrivait: «Si on voulait forcer la vie pratique, tant collective qu’individuelle, des hommes, à se conformer strictement, exclusivement, aux dernières données de la science, on condamnerait la société aussi bien que les individus à souffrir le martyre sur un lit de Procuste, qui finirait bientôt par les disloquer et par les étouffer, la vie restant toujours infiniment plus large que la science.» (Dieu et l’État, Imprimerie jurassienne, Genève, 1882)

Ambigüité

Et lui faisant écho, il faudrait relire dans L’Anarchie du 26 octobre 1901 le texte d’Albert Libertad, Le bétail patriotique: «À la caserne! Va, gars de vingt ans, mécanicien ou professeur, maçon ou dessinateur, étends-toi sur le lit… sur le lit de Procuste. Tu es trop petit… on va t’allonger. Tu es trop grand… on va te raccourcir… Tu n’es plus un homme, tu es un mouton. ..»

Le symbolisme procustien est interprété dans deux sens, parfois combinés. Dans Le divan de Procuste, Joyce McDougall réunit des textes en vue de faire sortir la psychanalyse de la normalisation réductrice «du lit de Procuste» dans lequel elle se déroule.

Mais la conception la plus commune est celle d’un symbole du conformisme, de l’uniformisation. Le «lit de Procuste» désigne alose toute tentative de réduire les hommes à un seul modèle, une seule façon de penser ou d’agir, comme il apparaît déjà dans les extraits cités précédemment, ce que d’aucuns qualifient de «pensée unique».

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Le syndrome de Procuste

On en arrive ainsi à cette dénomination moderne, le syndrome de Procuste, reprise en sous-titre dans un essai de Claude Vaillancourt, Différence et contrôle social, Le syndrome de Procuste, publié à Montréal chez Triptyque.

Le livre comporte deux parties. La première intitulée «Le bouc émissaire», devrait s’appeler «Différences», car les exemples donnés ne sont pas tous ceux de boucs émissaires, mais survolent des cas de différences: l’hérétique, le Juif, l’homosexuel, le handicapé, l’étranger. La deuxième partie, «La standardisation», est plutôt un descriptif d’effets de la mondialisation.

Dans tout cela, on ne voit guère Procuste à l’œuvre. Il y a certes une internationalisation de certaines structures, mais qui n’induisent pas nécessairement un nivellement social. À plusieurs exemples donnés, on pourrait apporter des correctifs identitaires, en restauration, dans les aéroports, attentes des touristes, etc. L’adaptation identitaire existe.

Le lit de Procuste

Vaillancourt ne parle pas des vrais cas d’uniformisation qui relèvent d’un véritable lit de Procuste, historiques ou actuels.

Le marranisme en Espagne, c’est-à-dire la conversion forcée des Juifs; le missionarisme de l’Église catholique, qui voulait ou veut encore convertir le monde entier à ses croyances et a détruit complètement combien des cultures; le comportement chinois à l’égard des Tibétains ou des Ouïgours qui «dénoncent une politique de nivellement de leur identité et de leur culture, ainsi que leur marginalisation économique».

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Et il y aurait le problème de l’intégration des migrants dans la société et de l’anti-communautarisme, un problème très actuel. Il y a eu aussi, dans un genre semblable, l’uniformisation voulue dans les mécanismes de colonisation.

Une conclusion réaliste, après examen de ces cas, serait de se demander si la mondialisation risque d’aboutir au même résultat, ou si elle ne va pas susciter des réactions identitaires. Ce livre peut être le point de départ d’une réflexion nécessaire sur l’uniformisation et le cosmopolitisme.

Entre les sociétés idéales des utopistes (Thomas More, Robert Owen, Charles Fourier et autres), où les divisions existent et où l’individualité demeure, et l’uniformise pourfendu par Bakounine ou Libertad, n’existerait-il pas une voie intermédiaire?

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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