Première victime: le délégué du Québec à Toronto

Scandale d’Option Canada

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Publié 21/02/2006 par Magdaline Boutros

Le verdict est tombé vendredi en fin d’après-midi: Jocelyn Beaudoin, chef de poste au Bureau du Québec à Toronto, est suspendu de ses fonctions avec solde. Cette suspension devrait vraisemblablement demeurer effective jusqu’à la fin de l’enquête du Directeur général des élections du Québec (DGE) sur les allégations de Normand Lester et Robin Philpot contenues dans leur ouvrage Les Secrets d’Option Canada. Même si M. Beaudoin se défend d’avoir contrevenu à la loi lors du dernier référendum au Québec, le ministre québécois Benoît Pelletier a préféré le démettre temporairement de ses fonctions pour «s’assurer que la confiance et le respect du public à l’égard des institutions démocratiques soient protégées».

Selon l’enquête menée par les journalistes Lester et Philpot et dévoi-lée en début de semaine dernière, Jocelyn Beaudoin serait au centre de la controverse entourant Option Canada. «Dans la boîte de documents comptables d’Option Canada, il ressort que Jocelyn Beaudoin était de tous les mauvais coups de la nébuleuse Option Canada», écrivent-ils dans leur livre.

Le délégué du Québec à Toronto aurait lui-même participé à la création de l’organisme en septembre 1995. Option Canada aurait dépensé illégalement 3,5 millions $ durant la dernière campagne référendaire pour soutenir le camp du «non». La somme aurait été obtenue du ministère du Patrimoine canadien sous forme de subventions pour la promotion de la dualité linguistique du Canada.

Selon la Loi sur la consultation populaire du Québec, les deux camps étaient autorisés à dépenser 5 millions $ durant la période référendaire allant du 1er au 30 octobre 1995; les montants injectés dans la campagne par Option Canada n’ont jamais été déclarés.

À l’époque du référendum, Jocelyn Beaudoin occupait le poste de président-directeur général du Conseil de l’unité canadienne (CUC). C’est à ce titre qu’il aurait participé à la création d’Option Canada, puis à sa gestion. «Le CUC avait une entente avec Option Canada qui lui donnait un droit de regard sur toutes les transactions, explique en entrevue Robin Philpot. Toutes les transactions d’Option Canada étaient supervisées, selon moi, par Jocelyn Beaudoin.»

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«Les très nombreuses lettres, avec factures, qui commencent par  »Cher Jocelyn » ne laissent aucun doute quant à son rôle et à sa connaissance des activités qui violaient de façon fulgurante la Loi sur la consultation populaire», écrivent les deux journalistes.

Jocelyn Beaudoin ainsi que les autres dirigeants d’Option Canada auraient été en contact constant avec le «war room» du comité du «non» durant la campagne référendaire.

M. Beaudoin a également facturé un montant de 24 000$ à Option Canada pour des «services professionnels pour l’organisation des activités d’Option Canada, consultation et frais divers pour la période du 1er septembre 1995 au 31 décembre 1995».

Les deux auteurs réclamaient dans leur livre la démission du délégué du Québec à Toronto. «C’est une insouciance de la part du gouvernement Charest de nommer quelqu’un qui a démontré un tel mépris des institutions québécoises, soutient Robin Philpot. Ils [les penseurs d’Option Canada] ont fondé une caisse occulte pour bafouer les règles démocratiques fondamentales. C’est un mépris du Québec, alors comment peut-il bien représenter le Québec et défendre l’image du Québec à l’extérieur du Québec?», se questionnait-il encore quelques heures avant que le ministre Pelletier rende sa décision.

Jocelyn Beaudoin a de son côté toujours nié quelque implication que ce soit avec Option Canada. Encore la semaine dernière, lors d’une réunion avec le ministre Pelletier, M. Beaudoin confirmait «qu’il n’avait pas été partie prenante aux décisions stratégiques ni aux décisions corporatives prises par Option Canada» et «qu’il n’avait été témoin d’aucune irrégularité commise par Option Canada en dérogation à la Loi sur la consultation populaire».

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Selon les propos de Benoît Pelletier, ministre québécois responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, et par conséquent responsable des bureaux du Québec au Canada, la décision de suspendre temporairement Jocelyn Beaudoin de son poste aurait été prise en concertation avec ce dernier. «M. Beaudoin et moi avons convenu qu’il était préférable qu’il soit relevé de ses fonctions tant et aussi longtemps que le DGE n’aura pas statué sur le rôle qu’il a joué dans Option Canada», a-t-il déclaré.

Dans une lettre publiée samedi dernier dans le quotidien La Presse, Jocelyn Beaudoin assure sa pleine et entière collaboration avec les autorités responsables de l’enquête. Il conteste vigoureusement les allégations des deux jour-nalistes qu’il qualifie «d’insinuations». Option Canada n’aurait pas été créée «à la hâte dans le but de contourner la Loi sur la consultation populaire pendant la campagne référendaire», soutient-il. Il ajoute plus loin que «le Conseil [CUC] visait plutôt avec son programme Option Canada à obtenir un impact maximum pendant la période préréférendaire justement parce que la loi susdite interdit d’encourir des dépenses non comptabilisées pendant la période référendaire». M. Beaudoin spécifie également qu’il a participé à la constitution de la nouvelle société à titre de fondateur et d’administrateur provisoire, mais qu’il a démissionné de cette fonction aussitôt la nouvelle société constituée.

Jocelyn Beaudoin a refusé de nous accorder une entrevue la semaine dernière. Jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise quant à l’avenir de Jocelyn Beaudoin, Ghislain Beaudin, conseiller principal au Bureau du Québec à Toronto, assurera le suivi administratif des dossiers.

Tant les auteurs du livre qui ont levé le voile sur Option Canada que l’opposition péquiste à l’Assemblée nationale du Québec ont salué la décision du gouvernement Charest de suspendre M. Beaudoin. Ceux-ci réclament également la tête de plusieurs autres figures politiques qui auraient trempé dans les activités occultes d’Option Canada.

Rappelons que l’enquête des deux journalistes, publiée aux Éditions Les Intouchables, est basée sur les documents comptables d’Option Canada. Ceux-ci auraient été récupérés par Normand Lester près d’un bac à déchets à l’arrière d’un centre commercial en novembre dernier. L’identité du dernier propriétaire de la boîte n’a pas été dévoilée.

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Le bureau du vérificateur général du Canada s’était déjà penché sur les activités d’Option Canada, mais l’enquête avait été avortée puisque Patrimoine canadien avait affirmé avoir égaré ou s’être fait voler les documents comptables d’Option Canada, aujourd’hui mystérieusement retrouvés.

L’enquête du Directeur général des élections a été confiée au juge Bernard Grenier. Son rapport devrait vraisemblablement être remis le 21 juin. Aucune accusation ne pourra toutefois être portée contre les éventuels contrevenants. La loi québécoise empêche le DGE d’entamer des poursuites pénales au-delà d’un délai de prescription de cinq ans.

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