Premier rapport du nouveau Commissaire aux services en français

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Publié 24/06/2008 par Yann Buxeda

Mardi 17 juin dernier, le Commissaire aux services en français François Boileau a remis son premier rapport au gouvernement McGuinty. Un dossier d’une trentaine de pages duquel ressort trois recommandations majeures. Mais le ton employé est à cents lieues du brûlot remis par Graham Fraser au gouvernement Harper il y a quelques semaines.

Même si tout est loin d’être rose, qu’on se le dise, la francophonie ontarienne a connu des heures plus sombres. Et si l’on est en droit d’espérer quelques améliorations majeures en ce qui a trait à la disponibilité des services en français, l’offre globale fournie par l’administration McGuinty suscite la satisfaction sous plusieurs aspects.

Pour autant, si les constats effectués par François Boileau ne sont pas virulents au point de les qualifier d’incendiaires, les changements qu’il préconise laissent à penser que des améliorations significatives sont envisageables.

Francophonie de l’Ontario?

Comment identifier un francophone en Ontario? Une question simple en apparence, mais qui sert de pilier à la première recommandation du commissaire. Principale remise en cause, le système de recensement des francophones de la province.

Il existe trois modèles plus ou moins inclusifs au Canada et celui employé en Ontario, s’il prend en compte plus d’individus que le modèle fédéral, reste moins inclusif que celui utilisé par Statistique Canada, comme le soutient François Boileau: «Il ne s’agit pas de contester automatiquement la méthode employée par le gouvernement de l’Ontario, mais simplement d’étudier plus en profondeur celle utilisée par Statistique Canada, qui m’a paru plus appropriée. Je ne suis pas statisticien, mais je crois avoir compris qu’avec ce système, qui inclurait notamment plus de nouveaux arrivants francophones dans les statistiques, la communauté francophone de l’Ontario serait plus justement représentée. Mais je suis un spécialiste de droit constitutionnel et pas de statistiques, et c’est justement pour cela que je recommande au gouvernement d’engager des experts à même de confirmer ou d’infirmer mon hypothèse.»

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La définition actuelle, pointée du doigt par le commissaire, exclut de la communauté francophone «reconnue» de nombreux francophones. C’est notamment le cas des immigrants dont la langue maternelle est une langue non officielle mais qui se sentent plus à l’aise en français qu’en anglais (immigrants du Maghreb par exemple).

Une nouvelle définition permettrait également de comptabiliser les francophones issus des familles exogames. Ces familles, qui ne pratiquent pas le français comme langue première à la maison, comptent néanmoins un ou plusieurs membres qui peuvent revendiquer la langue de Molière comme langue maternelle.

Des coordinateurs décideurs

Un autre point névralgique développé dans le rapport annuel du commissariat concerne le statut accordé aux coordonnateurs des services en français au sein des ministères. Pour l’heure, ces entités ont un pouvoir limité et un statut dont la définition est très variable selon les situations. Ainsi, certains disposent d’un accès direct aux sous-ministres, mais d’autres n’ont la possibilité de travailler qu’avec des directeurs ou des gestionnaires de divisions spécifiques.

Il arrive parfois qu’un seul coordonnateur ait en charge la responsabilité de deux, voire trois ministères.

Une situation inacceptable selon François Boileau: «Le problème est que ces coordonnateurs n’occupent pas une place suffisamment claire dans l’appareil administratif. Il faut absolument que les ministères se dotent d’entités qui ne soient pas considérées comme de simples traducteurs de textes rédigés en anglais, mais qui participent également à l’élaboration de ces textes et projets. La communauté francophone est une communauté minoritaire. Elle a des besoins spécifiques qui nécessitent une réflexion particulière et toutes les solutions ne s’adaptent pas simplement en traduisant des textes destinés aux Ontariens anglophones.»

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Par une implication accrue des coordinateurs dès la planification de projets, le commissaire entend pouvoir intégrer l’idée de services en français utiles et efficaces et permettre une gestion moins approximative de la clientèle francophone notamment dans certains services ministériels. Un concept soutenu par Mariette Carrier-Fraser, présidente de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO): «Il est déplorable que les coordonnateurs doivent assumer la responsabilité de deux et quelques fois même trois ministères. Leur rôle, en tant qu’interlocuteurs privilégiés dans le cadre de la planification stratégique des services en français des ministères doit être clairement énoncé.»

Des tiers mieux réglementés

Si les services ministériels enregistrent parfois d’importants manquements à la Loi sur les services en français, la situation est pire lorsqu’ils délèguent certaines prestations à des acteurs privés ou des municipalités.

Le commissaire a donc recommandé à la ministre Meilleur de proposer une réglementation claire pour régir la prestation des services en français, soit au terme d’un contrat conclu avec un tiers qui a convenu de fournir des services pour le compte d’un organisme gouvernemental, ou encore aux termes d’un nouveau partenariat public-privé. Une recommandation que l’AFO avait déjà émis durant la campagne électorale provinciale en 2007.

Le cas d’Ontario Travail est un cas d’école pour illustrer cette recommandation, comme l’explique François Boileau: «Nous avons reçu une plainte d’une citoyenne qui avait connu des soucis avec Ontario Travail, un programme gouvernemental administré par les municipalités.

Sauf que la municipalité à laquelle était rattachée la plaignante ne proposait pas ce service en français. Grâce au soutien du commissariat, cette situation est maintenant résolue par un contrat. C’est un bon point, mais il faut continuer pour obtenir un règlement à ce sujet, afin que tout ceci soit officiellement entériné.»

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Si cette plainte a abouti, de nombreuses font encore l’objet d’enquêtes. Soixante-deux contestations – dont 43 jugées recevables – ont été enregistrées par le commissariat au cours des six derniers mois, soit plus de deux fois plus qu’à l’Office des affaires francophones l’année précédente. Principaux services visés, le ministère de la Santé et celui du Procureur général avec respectivement 9 et 11 plaintes toujours en cours d’examen.

Mais autant que la nature de ces plaintes, c’est la quantité de réactions de la communauté qui interpelle François Boileau: «J’ai visité beaucoup de coins de la province et les gens sont très curieux à notre sujet. Ce commissariat suscite l’intérêt à une période où de plus en plus de Franco-Ontariens revendiquent leur choix de vivre en français dans leur province. Aujourd’hui les citoyens constatent des manquements et refusent l’assimilation. Ils s’engagent pour le fait francophone beaucoup plus facilement, grâce à la création de cet interlocuteur qu’est le Commissariat aux services en français.»

Des impulsions positives

Dans son rapport annuel, le Commissaire aux services en français ne lésine pas sur les recommandations.

Mais il n’en oublie pas pour autant de souligner les importantes avancées effectuées par la communauté francophone sous l’ère McGuinty. Sont ainsi mis en valeur l’officialisation de l’indépendance de TFO, mais également les succès dûs à l’application de la Politique d’aménagement linguistique depuis son instauration en octobre 2004.

La pertinence des comités consultatifs, créés en vue de répondre aux besoins et d’apporter des solutions adaptées à la communauté francophone, a été également soulignée par le commissaire, notamment dans les domaines de l’éducation et des soins de santé en français.

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D’autres initiatives, comme la création des Prix de la francophonie de l’Ontario ou la mise en place de Carrières en justice, chaperonnée par l’AJEFO, ont également été salués par François Boileau.

Une dynamique positive, mais qui doit trouver un écho dans la continuité. C’est en tout cas le premier souhait du commissaire: «En créant ce commissariat, le gouvernement actuel a fait preuve d’un leadership intéressant. Alors qu’il ne s’agissait pas d’une revendication majeure, ils ont d’eux-mêmes décidé de nommer une entité indépendante pour les surveiller. Il existe une volonté du gouvernement de saisir la problématique et d’oeuvrer pour la communauté francophone. La priorité consistera maintenant à transmettre cet élan sur le terrain, puisque c’est sans conteste l’aspect à améliorer en priorité.»

La réaction du gouvernement n’a d’ailleurs pas tardée, puisque la ministre déléguée aux Affaires francophones Madeleine Meilleur a souligné l’importance d’un rapport «qui aidera [le gouvernement] dans sa mission d’offrir des services en français de qualité».

Reste à espérer que le gouvernement mettra tout en oeuvre pour joindre les actes à la parole avec la même promptitude.

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