Pourquoi devient-on encore soldat aujourd’hui?

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Publié 16/02/2010 par Pierre Léon

On vient de ramener le corps d’un soldat, tué en Afghanistan ou en Irak, ou ailleurs. On lui rend les honneurs dus aux héros qui sacrifient leur vie pour une «juste cause». On le pleure et ses copains de régiment ont témoigné de sa bravoure et de son dévouement. Il était sans défaut prêt à aider la veuve et l’orphelin ennemis qu’un destin tragique mettait sur son chemin de guerrier. Il faisait partie d’une unité d’élite où personne n’a jamais torturé un prisonnier pour lui faire avouer le guet-apens qui se prépare.

Bref, c’était un soldat parfait, son cercueil en est un gage. Il a eu bien de la chance d’appartenir à une nation qui a des manières. Il y a des pays sur cette planète où le corps d’un combattant ne reçoit pas tant de considération, finit dans un trou creusé hâtivement et sans personne pour un discours et des larmes.

Mais pourquoi donc devient-on soldat aujourd’hui? Autrefois, la question ne se posait pas – et ne se pose toujours pas dans bien des contrées! On était mobilisé, «appelé sous les drapeaux».

On apprenait immédiatement à ne pas poser de questions. «Pas l’savoir!» était la formule rituelle des réponses à une plainte. On nous disait que nous devions l’obéissance aveugle avant tout. Notre programme de fantassin consistait à apprendre à tuer.

Il y avait des exceptions. Des planqués, qui faisaient leur service militaire comme secrétaires d’un colonel. Dans d’autres armées, certains apprenaient la mécanique ou les transmissions. La plupart tentaient de passer le temps en «faisant les cons». Le service militaire restait, dans son ensemble, une perte de temps, même si, plus tard, on n’en gardait que les souvenirs pittoresques et les bonnes histoires.

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Avec l’armée de métier, on s’enrôle désormais librement. Pour quelles raisons alors? Un chômeur y verra la promesse d’un emploi et d’une paye confortable. Un esprit aventureux, des voyages, la découverte de gens et de pays nouveaux. Un bagarreur, l’occasion d’exercer ses talents belliqueux. Un patriote, l’idée qu’il va défendre la nation qu’il habite. Un idéaliste, l’assurance de porter la civilisation ou la paix à des hommes qui en asservissent d’autres, méprisent les femmes, vivent prisonniers d’une religion. Mais en est-il aujourd’hui qui partent avec l’idée avouée de tuer et éventuellement d’être tués? J’ose croire que non, mais je n’en suis pas sûr.

Les Américains avaient inventé le «Parcours du combattant», destiné à entraîner avec la pire des rudesses, le physique des soldats et à obtenir leur abrutissement total. «Un soldat, ça boit, ça mange, ça chie et ça tue, ça tue!» était le leitmotiv, qui n’a pas dû beaucoup changer. Marches forcées sous la pluie, le vent, le froid ou l’extrême chaleur, traversée d’un marécage, sauts démentiels à se rompre les os, passage dans une buse en ciment, où on restait coincé, avec sac à dos et fusil. J’en passe et des meilleures. Le but final: créer des mécaniques prêtes à se jeter sur n’importe quel obstacle, et à tuer, tuer!

Rappelant que l’on n’était plus au temps chevaleresque du «Tirez les premiers, Messieurs les Anglais!», l’armée moderne que j’ai dû fréquenter, mobilisé malgré moi, nous enseignait à tricher, égorger, étriper sans pitié, par surprise. On appelait ces techniques de tueurs le «close combat».

Durant les Croisades, il y avait la motivation d’un Dieu, inventé par les hommes, pour fendre en deux un Infidèle. Lui-même, de son côté, était encouragé par Allah et l’espoir des 72 Vierges (ou 78, selon les textes) à déflorer en arrivant là-haut. (Mais était-ce bien reposant après une bataille?)

La question que tout vrai croyant se pose est de savoir comment Dieu fait le tri quand des combattants d’une même religion s’entretuent. On a eu l’exemple de la guerre Iran-Irak, où les mourants des deux camps trépassaient en criant «Inch Allah!» Vive Dieu.

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Les guerres des épées et des baïonnettes ont été remplacées par celles des armes à feu de plus en plus perfectionnées, du laser au lance-flammes. Ce qui n’exclut pas totalement les coups de poignard. Mais la beauté des tueries modernes vient de ce que le soldat, devenu technologue, peut tuer sans voir son ennemi. Les drones sont sans pilote. La vue du sang et des tripes de l’autre reste encore traumatisante.

Les fondamentalistes qui se font sauter avec une bombe au milieu d’un marché paisible à Bagdad, Kaboul ou Kandahar sont des trouble-fêtes parmi le monde des professionnels de l’armée technologique moderne. Pourtant, ce sont les mêmes terroristes qui ont vaincu de la sorte, tour à tour, leurs occupants de tribus ennemies, puis les Anglais, puis les Russes, qui ont donné bien du tintouin aux Américains et continuent avec les Européens et les Canadiens.

Lorsque le corps d’un jeune homme de vingt ans est ramené chez lui avec les honneurs militaires, je ne peux m’empêcher de penser à ce que dit en substance Giraudoux, dans La guerre de Troie n’aura pas lieu: «Dans une guerre, les vainqueurs sont ceux qui en reviennent vivants.»

P.S: À propos de fondamentalisme, on croyait que l’Église catholique avait dépassé le stade sérieux de l’Inquisition. Mais voilà qu’une loi du 1er janvier, à Dublin, interdit le blasphème en public. Selon Le Canard Enchaîné du 13 janvier 2010: «Il en coûtera 25 000 euros de crier: Nom de Dieu de bordel de merde! C’est moins radical que la condamnation à mort du dessinateur danois qui avait offensé Mahomet, mais il y a de l’idée.»

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