Pour être raffiné au Nouveau-Brunswick, le pétrole de l’Alberta passerait par… le canal de Panama!

«Presque de la satire»

Photo: Acadie Nouvelle
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Publié 27/05/2020 par Simon Delattre

11 770 kilomètres: c’est la distance que s’apprête à parcourir l’or noir de l’Ouest canadien pour être transformé par la raffinerie Irving Oil à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick.

En l’absence d’un pipeline transcanadien – qui suscite de l’opposition politique en Ontario et au Québec, Irving Oil a obtenu l’autorisation d’expédier des barils de pétrole albertain via le port de Vancouver jusqu’à son terminal de Saint-Jean en passant par… le canal de Panama.

Les navires pétroliers devront donc faire le tour du continent, traverser l’océan Pacifique, la mer des Caraïbes jusqu’à l’océan Atlantique pour transporter la matière première d’un bout à l’autre du Canada.

Sécurité énergétique

La plus grande raffinerie du pays accroîtrait ainsi sa proportion de brut canadien, représentant actuellement près de 20% de ses approvisionnements.

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«En ce qui concerne le pétrole brut de la côte ouest et de la côte est, Irving Oil a l’intention de conclure des accords à long terme avec des fournisseurs de brut canadiens pour le transport de barils sur une période d’un an», a indiqué la société dans sa demande présentée le 16 avril auprès de l’Office des transports du Canada.

Dans ce document, le directeur du raffinage et de l’approvisionnement, Kevin Scott, ajoute que son employeur veut assurer la «sécurité énergétique» du pays au cours des prochains mois.

«Il est essentiel pour nos clients, pour notre entreprise et pour la sécurité énergétique de tout le Canada atlantique que nous puissions utiliser des pétroliers étrangers pour accéder au pétrole brut de l’Ouest canadien de façon urgente et aller de l’avant pendant un an afin de permettre une planification flexible de la chaîne d’approvisionnement et renforcement du lien entre les producteurs de pétrole canadiens et notre raffinerie en cette période difficile et incertaine», écrit-il.

«Un accès flexible à un transport rapide du pétrole est une condition sine qua non de notre capacité à nous engager à acheter du pétrole brut canadien pendant cette période difficile et incertaine.»

Dès cet été

La compagnie pétrolière a finalement reçu le feu vert au début du mois de mai. Elle obtient également la permission de faire venir des bateaux depuis Terre-Neuve-et-Labrador et depuis le Golfe du Mexique.

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Dans une entrevue accordée à la CBC, Kevin Scott a précisé que les premiers barils devraient faire leur arrivée dans la baie de Fundy d’ici la fin du mois du juin ou le début du mois de juillet.

Difficile à cette heure de savoir si ce changement de stratégie s’inscrira dans le long terme. On ignore également quelle quantité de pétrole sera acheminée par ce chemin détourné.

La construction du futur pipeline Keystone XL, qui relierait l’Alberta au golfe du Mexique, pourrait notamment changer la donne. En mars dernier, la société TC Energy avait confirmé son intention de poursuivre le projet et tablait sur une mise en service en 2023.

Keystone XL est toutefois lui aussi soumis aux aléas de la politique américaine: le candidat présidentiel démocrate Joe Biden s’y oppose.

Crise mondiale

Reste qu’aujourd’hui, la voie maritime est de loin le mode de transport privilégié par Irving Oil. Depuis la catastrophe de Lac-Mégantic en 2013, la pétrolière a considérablement réduit ses approvisionnements par train. TransCanada a renoncé à construire l’oléoduc Énergie Est en octobre 2017.

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Le repositionnement opéré par Irving Oil intervient dans une période de crise mondiale du secteur des hydrocarbures qui bouscule la chaîne d’approvisionnement et crée son lot d’inconnus.

Les mesures de confinement à travers le globe ont fait reculer de près de 30% la demande mondiale en pétrole et forcé une réduction draconienne de la production. La guerre des prix à laquelle se sont livrées la Russie et l’Arabie saoudite ont également contribué à la surabondance de l’or noir et à une chute vertigineuse des cours pétroliers.

Réminiscence de 1973

Peter Tertzakian, directeur de l’ARC Energy Research Institute, rappelle que ce n’est pas la première fois que le pétrole albertain emprunte un tel circuit à travers le canal de Panama pour être acheminé sur la côte est du Canada.

Un tel scénario s’est déjà produit en 1973, lorsque l’embargo décrété l’Organisation des pays exportateurs de pétrole a engendré des pénuries à travers l’Amérique du Nord.

La situation est aujourd’hui bien différente, souligne-t-il. «Cette fois, il s’agit plutôt d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, la diversification de l’approvisionnement en cas de catastrophe, comme une pandémie, et d’essayer de se protéger de choses comme les guerres de prix.»

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Selon M. Tertzakian, la possibilité que le Canada où les États-Unis imposent des tarifs douaniers sur le pétrole étranger pour développer les chaînes d’approvisionnement nationales n’est pas à écarter. «Il est possible que les Irving envisagent cette mesure préventive pour pouvoir se protéger contre d’éventuels tarifs», avance-t-il.

Énergie Est 2.0

La nouvelle a en tout cas donné de nouvelles munitions aux partisans d’un projet Énergie Est 2.0. La ministre de l’Énergie de l’Alberta, Sonya Savage, s’est dite heureuse qu’Irving Oil commence à utiliser davantage de pétrole brut de l’Ouest canadien, ajoutant que l’Alberta produit suffisamment pour approvisionner le pays.

«Cependant, il est regrettable qu’Irving soit obligé d’utiliser des routes maritimes compliquées autour du continent. Le pipeline Énergie Est aurait fourni un itinéraire plus sûr et plus rapide», écrit-elle.

Dans un entretien publié par l’hebdomadaire World-Spectator, la ministre de l’Énergie et des Ressources de la Saskatchewan, Bronwyn Eyre, a également exprimé sa frustration.

«Nous en sommes réduits à recourir au canal de Panama parce que les obstacles dans notre propre pays sont trop grands pour faire autrement. Je ne peux qu’imaginer les coûts que cela représente. On n’aurait pas pu l’inventer, cela ressemble presque à de la satire.»

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