Pour en finir avec la nostalgie

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 04/12/2007 par Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow

Il passe rarement un jour sans qu’un commentateur s’indigne de la qualité du français écrit au Québec. Nous ne partageons pas ce point de vue. Quatre ans de recherches sur la langue française, qui nous ont menés dans une dizaine de pays, nous ont permis de découvrir que le français se porte bien, partout. Mais il change. Et c’est cela qui dérange.

De quoi parle-t-on au juste, quand il est question de qualité de français?

Les rares cas où des comparaisons documentées sont possibles tendent à prouver que l’on n’écrit pas vraiment plus mal qu’autrefois.

Par exemple, après avoir déterré des archives une dictée donnée à 3 000 élèves d’un beau quartier parisien entre 1873 et 1877, des linguistes français l’ont fait passer 100 ans plus tard dans le même quartier à 3 000 élèves appartenant au même groupe socio-économique.

Surprise: ils ont constaté très peu d’écart dans la maîtrise générale de l’écrit entre maintenant et «le bon vieux temps». Les linguistes québécois qui ont étudié de près cette question en se fondant sur des documents plutôt que leurs souvenirs arrivent habituellement aux mêmes conclusions.

Publicité

Mais alors, d’où vient cette impression tenace de régression?

D’abord, la scolarisation massive a complètement changé la sociologie du français. Il y a 70 ans, sur un village de 5 000 habitants, on pouvait espérer un petit génie qui finissait son cours classique. Tous les autres abandonnaient en chemin: ils rentraient dans le bois et on ne les lisait jamais. Désormais, ils sont des millions de Québécois qui sont scolarisés jusqu’au cégep. Bon nombre d’entre eux écrivent mal, mais ils écrivent! C’est en soit un progrès que l’on devrait applaudir.

Oui, mais n’y a-t-il pas place à l’amélioration?

Nous le croyons, mais cela suppose d’avoir des idées claires sur ce que c’est que le bon français, ce qui est douteux – surtout que l’idéologie puriste nous a imposé l’idée fausse que le français est immuable alors qu’il change depuis toujours. Par exemple, les locuteurs du français du 20e siècle ont abandonné rien de moins qu’un temps de verbe, le passé simple pour le remplacer par le passé composé. Alors, c’est quoi, le bon français, au juste?

De plus, l’ordinateur bouleverse le rapport à l’écriture dans toutes les sociétés occidentales depuis 20 ans – y compris au Québec.

Publicité

Dans le «bon vieux temps», on écrivait à la plume et à l’encre des phrases déjà construites dans sa tête. Pas parce que les anciens étaient plus intelligents, mais parce que la technologie – la plume, l’encre et le buvard – compliquait l’effaçage (ils étaient peu nombreux, d’ailleurs, à écrire). De nos jours, l’ordinateur permet d’écrire tout en construisant sa pensée, et de se corriger sans arrêt pour amener le texte à niveau. Les correcteurs orthographiques et grammaticaux sont partout.

Faut-il s’en désoler? Peut-être pas: les ingénieurs ne sont pas moins bons ingénieurs parce qu’ils se fient à leur calculette, et que l’on autorise la calculette aux examens. Pendant ce temps, les épreuves de français sont encore conçues dans une logique qui ne correspond plus du tout à la façon dont des millions de gens appréhendent l’écriture.

Ce changement de technologie couplé à la prolifération des francophones capables d’écrire amène au développement de plusieurs niveaux de français écrit, comme il y a plusieurs niveaux de français oral. Autrement dit, bien des textes jugés «incorrects» par les pontifes ne se sont jamais voulus corrects pour commencer.

De Montréal à Dakar en passant par Paris, Bruxelles et Alger, les francophones habitent une langue dont la norme écrite était le point de référence depuis trois siècles. Or, on assiste actuellement à une inversion où c’est l’oral qui s’impose de plus en plus. Cela ne signifie pas qu’on écrira en joual ou phonétiquement, mais cela signifie que les francophones s’autorisent de plus en plus de libertés, même quand ils n’appartiennent pas à l’élite des écrivains.

Cette nouveauté rafraîchissante, mais dérangeante est certainement l’un des développements les plus intéressants dans l’histoire de la langue française depuis que Malherbe a inventé le purisme. Ce qui ne veut pas dire, redisons-le, qu’il n’y a pas place à l’amélioration. Il faut des normes – mais il faut que celles-ci évoluent. Ce n’est pas évident pour quiconque glorifie un passé imaginaire…

Publicité

Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow sont les auteurs de La Grande aventure de la langue française (Québec Amérique).

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur