Porte-parole des oubliés

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Publié 07/04/2015 par Annik Chalifour

Janvier 2001, ils étaient neuf expatriés en mission avec Médecins sans frontières (MSF) basés à Yenagoa, capitale de l’État de Bayelsa au sud du Nigéria, en bordure de l’océan Atlantique. Ils vivaient et travaillaient ensemble 24h sur 24, sept jours sur sept.

Deux infirmières d’Afrique du Sud et du Bénin, deux médecins de l’Allemagne et la Suisse, une épidémiologiste britannique, trois logisticiens, un Américain, deux Hollandais, et Nicole, l’administratrice québécoise. L’équipe avait pour mandat de contrôler et surveiller l’épidémie de la malaria qui frappait des milliers d’habitants survivant dans les communautés de rive les plus isolées les unes que les autres.

«Une dynamique de groupe plutôt difficile à gérer au quotidien, en plus de faire face à un climat socio-politique déficient», témoigne Nicole. Bien que Bayelsa soit l’un des réservoirs les plus importants de pétrole au Nigéria, la majorité des Bayelsans vivait – et vit toujours – dans la grande pauvreté.

Au début des années 2000, la population se livrait – et se livre toujours – à la pêche de subsistance en pirogue dans le delta du fleuve Niger. La plupart des villageois vivaient – et vivent encore – proches des cours d’eau et de criques dangereusement propices à la propagation rapide du paludisme.

«Une mission impossible!», avait clamé les amis de Nicole, le jour de son départ, incrédules envers la cause de leur copine et craignant pour sa sécurité dans un milieu déjà reconnu pour ses kidnappings lucratifs… Mais la profonde motivation de Nicole dépassait les craintes «exagérées», estimait-elle, de son entourage social.

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La jeune femme quitte Québec fin décembre 2000 à destination de Lagos via Paris. Un chauffeur local embauché par MSF l’accueille à l’aéroport de l’ancienne capitale nigériane. Nicole digère avec peine tout ce qu’elle entrevoit sur la route bondée de piétons sous la chaleur torride.

Lagos, ville lagunaire, abrite plus de 21 millions d’habitants. Le centre-ville est situé sur l’île de Lagos hébergeant le quartier des affaires. Les riches sont établis à Ikoyi (à l’est de l’île de Lagos) ainsi qu’à l’île Victoria (au sud de l’île) – où se trouvait la maison de MSF à l’époque – tandis que les pauvres vivent entassés en banlieue. Lagos détient un taux de croissance démographique parmi les plus élevés au monde.

Réputée pour son développement urbain incontrôlable, la ville est surpeuplée d’îlots urbains juxtaposés au hasard. «Les immigrants et les plus pauvres habitent dans des maisons sur pilotis. Les trois ponts qui relient l’île de Lagos au «Mainland», font constamment face à des embouteillages insolubles», décrit Nicole. «Et que dire à propos de l’entretien de ces trois ponts… une immense catastrophe en puissance…»

Les plaques d’immatriculation des véhicules portent l’inscription «Lagos Center of Excellence». «On devrait plutôt lire «Lagos Center of Chaos», rapportaient certains expatriés blasés. L’expatriée québécoise a quitté Lagos sans regrets, par avion en direction de Yenagoa via Port Harcourt, principale ville au sud du pays où l’industrie pétrolière y tient une place prépondérante.

La maison de MSF à Yenagoa était assez grande; chaque expatrié avait sa chambre privée avec une moustiquaire flottant au-dessus du lit. Le groupe partageait deux salles de bain, la cuisine, la salle à manger et le coin de détente. «Mais au bout de quelques semaines, on devenait quelque peu claustrophobes», admet Nicole. «Pour des raisons de sécurité, on ne pouvait jamais sortir seuls du «compound» surveillé nuit et jour par des gardiens locaux et leurs chiens qui aboyaient sans cesse.»

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Chaque 15 jours, la moitié de l’équipe MSF partait en brousse à la rencontre de nombreuses femmes avec leurs enfants, souffrant des symptômes de la malaria. «On quittait Yenagoa très tôt le matin. La logistique du voyage était complexe et périlleuse; on se déplaçait en deux pirogues avec l’aide de Nigérians pour nous transporter en plus des fournitures médicales, de nos abris moustiquaires, de la nourriture et des boissons pour quatre jours.»

«Cela prenait deux heures pour atteindre le premier de ces villages coupés du monde», détaille Nicole, qui accompagnait l’équipage une fois par mois. «Dès notre arrivée, on apercevait les villageois sortir des forêts par centaines pour recevoir notre aide», confie-t-elle.

Un labeur intense motivé par une détermination sans bornes. Outre son œuvre médicale d’urgence, MSF témoigne en faveur des populations marginalisées qu’elle assiste, «en produisant des statistiques révélatrices des conditions de vie de milliers de personnes souffrant de maladies liées à des causes environnementales, mais aussi souvent politiques», d’expliquer Nicole. C’est pour cette raison qu’elle travaille avec MSF jusqu’à nos jours: «Pour donner une voix aux oubliés de la terre.»

Chaque minute, un enfant meurt de la malaria en Afrique. Il s’agit d’une des principales causes de décès sur le continent africain. Aussi appelée paludisme, c’est une maladie infectieuse transmise par la piqûre de certains moustiques principalement en milieu tropical.

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Cette chronique est une série de petites histoires tirées de mon imaginaire et de faits vécus, dont j’ai été témoin au cours de mon long chapitre de vie parmi le monde des expatriés et des immigrants. Un fil invisible relie ces gens de partout selon les époques, les lieux, les événements, les identités et les sentiments qu’ils ont traversés. – Annik Chalifour

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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