Plus il y a de langues, plus c’est délicieux

Conte de Noël

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Publié 22/12/2008 par Paul-François Sylvestre

Chaque samedi de décembre, le marché St. Lawrence de Toronto revêt ses plus beaux atours et la clientèle s’anime à qui mieux mieux. Elle a l’embarras du choix au milieu de tous les étalages de couronnes, de guirlandes, de cocottes, de bûches et d’arbres disposés à l’extérieur, le long des rues Front et Jarvis. À l’intérieur, les clients se bousculent, qui pour mettre la main sur une tourtière, qui pour acheter un gâteau aux fruits ou un plum pudding. Une femme au large sourire affiche de toute évidence sa satisfaction d’avoir enfin trouvé ses petits bonhommes en pain d’épice. Nicole doit en acheter dix douzaines pour la fête de Noël à Place Saint-Roland, quelques rues à l’est du marché.

C’est une travailleuse sociale francophone qui a fondé la Place Saint-Roland en 1972. Simonetta Lanterna voulait offrir un lieu d’accueil pour les retraités d’expression française et les aînés en perte d’autonomie à Toronto. La résidence porte le nom d’un saint italien parce que le père de Simonetta lui a jadis raconté la touchante histoire de saint Roland, ermite moribond découvert dans une forêt de Borgo par des chasseurs.

Simonetta imagine que cet ermite a une barbe blanche, qu’il mendie et, au lieu de recevoir de l’argent, il récolte des jouets. De là à en faire un père Noël qui distribue des récompense aux enfants sages, il n’y a qu’un pas. La réalité est plus prosaïque puisque Roland, les bras étendus pendant cinq ou six heures, reste immobile sur un pied en fixant le ciel.

Simonetta sait que l’ermite est décédé dans la paix du Seigneur, en 1386, et que cet homme fut canonisé. Il est honoré le 15 septembre. C’est pour cette raison que Place Saint-Roland a ouvert ses portes un 15 septembre. Fin de la parenthèse pseudo historique.

Revenons à Nicole, à la Fée Nicole qui a passé la semaine à décorer Place Saint-Roland. Les élèves de l’école Gabrielle-Roy sont venus monter un arbre de Noël et ceux de l’école Sacré-Cœur ont dressé une crèche. Ce midi, quelque cent résidents et membres du Club des Jeunes d’Hier sont réunis dans la vaste salle à manger. Les lutins Yvon, Dany et Henri jouent de la musique. De gais lurons servent le vin, la soupe, la dinde, la farce, les canneberges, la tourtière, la sauce, les carottes, alouette!

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Arborant une vraie barbe blanche, Peter s’est déguisé en Père Noël, malgré sa taille plutôt mince, et il distribue allégrement des bonbons à chaque convive. La Fée Nicole a évidemment prévu toute une kyrielle de prix de présence, plus le tirage 50-50 et la rafle d’un énorme poinsettia à huit fleurs.

Les premiers prix de présence s’envolent comme des petits pains chauds, pardon, comme des petits pains d’épice. La Libanaise Rajah et la Chinoise Chri-Chri reçoivent chacune une chandelle, le Coréen Bong et le Vénézuelien Sergio choisissent des napperons, l’Haïtienne Manette et l’Italienne Élisabeth héritent chacune d’une boule de Noël, la Norvégienne Suzanne et la Russe Larissa se voient remettre un petit sapin en cire, le Néerlandais Arent et le Burundais Émery empochent chacun trois gratteux, la Franco-Ontarienne Simonne gagne l’énorme poinsettia et le Mauritien David remporte le tirage 50-50, soit une jolie somme de 60 $. «Toujours les mêmes!», entonnent ses amis.

Avant de distribuer ses petits bonhommes en pain d’épice, la Fée Nicole invite tous les heureux gagnants à défiler devant le micro et à clamer les traditionnels souhaits dans leur langue maternelle. Les lutins Yvon, Dany et Henri jouent des airs mélodieux – V’là l’ bon vent, Les anges dans nos campagnes – et les vœux retentissent gaiement, selon l’ordre des prix gagnés: Milad Majeed (libanais), Sheng Tan Kuai Loh (chinois), Sungtan Chukha (coréen), Feliz Navidad (espagnol), Jwaye Nowel (créole), Buon Natale (italien), God Jul (norvégien), S Rozdjestvom Hristovim (russe), Vrolijke Kerstdagen (néerlandais), Noweli Nziza (burundais), Joyeux Noël, Merry Christmas, Joyeux Noël!.

Ho! Ho! Ho! Tous les souhaits s’enguirlandent pour former une délicieuse boule de pluralisme. Des applaudissements retentissent à travers la salle à manger de Place Saint-Roland, devenue sur le coup une véritable Place des Nations unies.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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