Petite défense et illustration de la langue française

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Publié 29/04/2009 par Jean-Charles Berger

Réaction à la chronique «En bon français» de Martin Francoeur sur des lacunes de la langue française (7 avril).

Eh! bien, cher Monsieur, je ne suis pas d’accord avec vous. Débauche de charabia, je trouve qu’il y a déjà bien trop d’anglicismes mal compris, mal employés, mal assimilés, mal prononcés, dissonants, outrés-outrageux-outrageants, des deux côtés de l’Atlantique d’ailleurs et, détail comique, pas les mêmes, pour oser faire la «promotion» du vocable «cheap» (mot déjà bas et vulgaire en anglais) et presque proposer de l’adopter en français. Ah! Ça non! Assez, Enough, Genug, Basta, Rhlass.

«Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément», vous dirait Boileau.

Oseriez-vous dire à Edmond Rostand d’adopter «cheap»? Tout à trac, il réveillerait illico Cyrano pour, flamberge au vent, vous proposer tout de go une bonne tirade de son cru afin de parer à ces supposées «insuffisances» en déclarant: Vous auriez pu dire Messire, mais c’est donné, c’est bon marché, c’est pas cher, c’est pour rien, c’est pour une bouchée de pain, pour un liard, c’est cadeau.

Méprisant: ça vaut rien, c’est toc, du toc, c’est bas de gamme, ça vaut pas un kopeck, c’est pour rien, pour trois fois rien, pour quatre sous, pacotille, c’est pour des prunes, pour un picaillon, pour une goutte d’eau, pour une 
miette.

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Familièrement: c’est camelote, c’est peau de balle (et balai de crins ajoutent les puristes verbeux…)

Plus trivial encore: ça vaut pas un rond, ca vaut des clopinettes, pour des clopinettes, ça vaut pas un sous, pas une cenne… Roupie de sansonnet, billevesée et coquecigrue que tout cela…

Et vous citer Fénelon, qui admettrait un «terme au son doux» «et sans danger d’équivoque ».

«Cheap» un son doux! Vraiment? Allons, allons! Et sans danger d’équivoque? Songez à tous ces «maudzis français» qui font leur repas de «chips» avec leur manie de mal prononcer l’anglais, d’omettre de prononcer la dernière lettre, ils ne tarderaient pas à parler de «cheap-chip» et de chip-munk à monkey see, monkey do, nous serions tous au zoo! En «chimp» très vite, nous balançant dans l’équivoque!

Vous ne l’ignorez pas, chaque langue, culture, à ses spécificités, linguistique, régionales. Diversité ou richesse dans un domaine plus marqué ou un autre reflètent l’héritage, le patrimoine culturo-ethno-géographique, voir climatique, le terrain. Voyez nous-mêmes avec «les neige, la glace, les vents et les forêts», tout l’éveillé de la poudrerie au grésil et tutti quanti, les Français avec la cuisine ou le pain.

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L’anglais est pauvre dans certains domaines tout autant, dès qu’il s’agit de «débonnaire» et «bon vivant», de «chaises longues», de «milieu», d’un «je ne sais quoi», d’un «soupçon», d’un «chargé d’affaires», d’un «coup d’État» ou « coup de grâce», dès qu’il s’agit de «rendez-vous» de «chercher la femme» et plus de 150 vocables français (je les ai comptés et compte encore!) utilisés couramment par tout anglophone unilingue sans même le savoir, de l’«entrepreneur» au «voyageur» à la recherche d’un «hôtel» ou d’un «taxi».

À tel point qu’un Anglais adroit est «legerdemain» c.a.d. léger de main, qu’il aille à Des Moines ou Detroit, Pointe Pelée ou au lac Pontchartrain, même voir le Grand Teton, sûr de
«Dieu et son Droit».

Mais «revenons à nos moutons». Quand l’Anglais dit «I got it cheap», nous disons: Je l’ai eu pour un air de guitare. Convenez que c’est autre chose tout de même, pour une langue «lacunaire»!

Le style la créativité, le panache, la poésie en prime, la signification fulgurante dans la beauté, ça laisse «cheap» loin derrière, non? Et comme «cheap» vole bas, sans allant ni élan, n’est-ce pas? Et quand l’Anglais atteint, est conquis, convaincu, que dit-il? «Touché», «et voilà»… à cause de «trous dans sa langue», peut-être?

Non, voyez-vous quant à moi je préfère utiliser chasse-feuilles que « leaf-blower» (ou ne pas l’utiliser du tout par souci écologique et repos des familles), employer le beau mot de courriel qu’un «e-mail», la toile que le «web », ça fait toc, plutôt que ca fait «cheap».

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Si vous vous sentez dépourvu, inventez, créez, inventons une locution française. Créons un ordinateur plutôt qu’un «computer», un baladeur plutôt qu’un «walkman», ça nous ressemble tellement plus que «cheap». L’usage et l’esthétique naturel de la langue séparerons le bon grain de l’ivraie…

Songez que pour nous «brainstorming» est devenu remue-méninges, et «fiberglass» s’est mue en laine de roche!

Mais surtout, de grâce, pas de promotion de vocables anglais dans le rare, le seul, le précieux journal francophone de Toronto. C’est une question de tenue, de rigueur, de Noblesse oblige, cher Monsieur. La langue du et de «Beau geste» ne peut racoler «cheap».

Et croyez bien que le but de ma missive n’est point de vous assaillir mais de vous assister. Nous sommes trop peu nombreux à Toronto, aux avant-postes de la francophonie, pour nous opposer sur des arguties au lieu de nous entraider à maintenir «la différence» dans la meilleur langue de Molière.

Toute autre attitude serait «cheap», que dis-je, importune, disgracieuse, basse, vile, gauche, inconvenante, déplacée, hors de propos, maladroite, incongrue, sans tact, inepte, étriquée, mesquine, vétilleuse, gargotière, émanant la sentine… Ai-je laissé quelque trous…?

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Bien francophoniquement à vous.

P.S.: Pour la cavité derrière le genou je propose: le pli de Jarnac (le sillon de…). Pour la saignée du bras je propose: la commissure humérale.

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