Pas dans la rue

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Publié 17/02/2009 par Pierre Léon

On se demande parfois ce qu’il serait impossible de faire dans la rue sans s’attirer des ennuis. Déjeuner, dîner, oui puisqu’on y consomme déjà pas mal de sandwiches. Cependant, en dehors des terrasses de café, il serait encore malséant d’installer une table de pique-nique sur un trottoir de la ville. Boire est accepté à condition que ce soit la sacro sainte eau minérale. Mais il faut tout de même être jeune et si possible en jeans déchirés.

Dormir? D’aucuns le font, non par goût mais par urgente nécessité. Se soulager d’un besoin intempestif? On vous dira qu’il y a des lieux pour ça. Mais ce n’est pas toujours le cas et Le Canard Enchaîné rapporte, dans un récent numéro, la condamnation d’un homme qui, ayant des problèmes de prostate, s’est trouvé obligé d’alléger sa vessie derrière la palissade d’un terrain vague. Ce n’était donc même pas dans la rue. Le juge, pourtant français, a été sans pitié. La tolérance varie selon les pays et les couches sociales. Ce juge n’était sûrement pas issu d’une classe populaire.

L’été des pays modernes dévoile dans la rue de plus en plus de parties du corps que la pudeur gardait autrefois cachées. Il est loin le temps de la cheville féminine entrevue qui tournait la tête de nos grands-pères. L’ultra minijupe et les soutiens gorges érotiques sont maintenant acceptés dans les grandes villes occidentales alors qu’ils ne sont encore pas très courants dans les contrées prudes, telles les musulmanes.

Le comportement amoureux a fait beaucoup de progrès vers une libération qui frise parfois l’indécence, même pour les moeurs les plus évoluées. Il n’est plus interdit par la morale religieuse occidentale de s’embrasser dans la rue. Mais il y a bien des façons de procéder, depuis le chaste baiser à un bébé ou à un ecclésiastique, jusqu’au baiser fougueux de jeunes amoureux.

Au Mexique, pays latin et chaud – rapporte Le Monde du 21 janvier 2009 – le maire d’une ville du centre, Guanajuato, épris soudainement de vertu, a décidé d’interdire tout baiser passionné en public, sous peine d’un an de prison. C’était se faire baiser pour bien cher. Et puis, à partir de quand un baiser est-il vraiment «passionné» ? Et qui va décider qu’un baiser dans le cou est plus ou moins passionné que sur la bouche ou ailleurs ? En tout cas, tollé général, d’autant plus que – ô ironie du sort – la ville en question possède une «ruelle aux baisers». On l’imagine ombragée, même un peu sombre, un brin romantique. De plus, la tradition veut qu’un baiser accordé dans cette ruelle procure sept ans de bonheur!

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Unanimement critiqué, le maire de Guanajuato, a dû se rétracter et admettre, dans un premier temps l’usage du baiser passionné, disant que son interdiction ne visait que «les étreintes où les parties génitales se touchent». Puis, pour montrer sa bonne foi, il est allé plus loin, décidant de proclamer sa ville: Capitale du baiser, demandant à tous ses concitoyens de le démontrer dans la rue! Cette volte face politique a dû bien réjouir les amoureux mexicains.

Donner un baiser est habituellement chose désintéressée. Dans la rue, il peut être considéré comme un acte de bravoure si c’est la première fois. Routine par la suite ! À notre époque, le baiser le plus célèbre n’est plus celui du joli couple statuaire de Rodin mais celui du photographe, Robert Doisneau, Le baiser de l’Hôtel de Ville. Les suites en ont été inattendues. Une des personnes du groupe photographié a poursuivi en justice le photographe, demandant des dommages et intérêts. Je n’ai jamais su la suite.

Par contre, vous vous souvenez sans doute que la demoiselle embrassée, à qui Doisneau avait donné le cliché original, l’a mis aux enchères à 5 000 euros. Il a été adjugé et vendu à 150 000 euros ! Pour ce prix-là, on n’hésiterait peut-être pas longtemps avant d’embrasser une jolie fille dans la rue, devant un photographe.

La rue s’est démocratisée. Les prostituées et les clochards n’en sont plus les seuls marginaux. Les gens bien peuvent s’y encanailler sans courir le risque de la moquerie ou de la réprobation. Au bureau, on trouverait vos bermudas osés ou ridicules, dans la rue, ils ne choquent plus grand monde; comme les pantalons en patte d’éléphant de votre ami. Et vous pouvez vous maquiller et vous mettre des boucles d’oreilles dans le nez et des anneaux au nombril. La rue est le lieu de tous les possibles. Jusqu’où ira cette libération? Et suscitera-t-elle de nouvelles chansons, comme les vieilles rengaines des Cora Vaucaire sur les rues de Paris.

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