Parlons chanson avec… Jacques Bertin

Jacques Bertin (Photo: Dominique Denis)
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Publié 13/12/2016 par Dominique Denis

«Je ne fais pas ‘de la musique’, comme on dit aujourd’hui. Je fais de la chanson. Plus exactement de la poésie chantée.»

Jacques Bertin, que les étudiants du cours Parlons chanson ont interviewé avant son tout premier passage à Toronto, en octobre dernier, tient à mettre les points sur les i. «La poésie n’est un moyen de connaissance que secondairement; elle est un moyen d’évocation, d’invocation, un chant. Un de mes collègues a inventé le mot chantauteur – j’aime ce mot. Je suis un chantauteur depuis 50 ans. Hors du show business (l’industrie culturelle!) et militant contre ce système d’aliénation du public. Je m’y tiens.»

Rencontre avec un maquisard de la chanson…

Votre chanson Hymne est un hommage au pouvoir du chant, qui semble être une préoccupation constante. Quelle place occupe le chant dans votre vie, et quelle place joue-t-il – ou devrait-il jouer – dans la société?

Quand j’étais enfant, on chantait tout le temps et partout: dans les cafés, dans la voiture, dans la rue. C’était à la fois une façon de respirer, de vivre, et une façon d’aller vers la beauté et l’émotion, sans instruments ni moyens matériels. C’est un exercice naturel, et c’est la beauté permise à tout le monde – contrairement à la peinture, par exemple.

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La chanson est aussi un moyen de mobilisation. Après tout, quand on dit: «Allons, enfants de la patrie!», on ne dit pas «Allez, enfants de la patrie!» [rires]. Et tout le monde reprend le refrain, ce qui veut dire qu’on est d’accord, qu’on est ensemble.

Vous vous êtes souvent montré critique à l’égard de la poésie du vingtième siècle, que vous considérez trop hermétique, en même temps que vous déplorez la marginalisation de la chanson.

On va revenir à la chanson un de ces jours. Déjà, on voit que le succès du rap et du slam montre que les jeunes ont besoin de la poésie, ont besoin de s’exprimer de manière rythmée, mesurée. On veut l’apprendre par cœur, mais après, on veut travailler sur les sonorités, les rimes, la beauté du vers, etc. La question qui va se poser dans quelques années, c’est quand les slammeurs vont dire: «J’ai besoin de chanter».

Parce qu’en principe, le débouché, ce sera ça. C’est une hypothèse qui me semble logique: qu’ayant redécouvert la fonction de la poésie, soit le partage en public, l’expression des convictions, ils passent à l’étape suivante, qui est la vibration de la voix.

Ce «partage en public» est une expérience qui vous a profondément marqué, à une certaine époque, et dont vous avez dit: «C’était formidable, parce que les gens dans la salle y croyaient autant que nous. Ils découvraient la petite salle, la lumière qui s’éteint, le silence, et un mec, tout seul, qui fait ça!» S’agit-il d’une époque révolue?

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Un petit peu… Quand j’ai commencé, moi et ceux de ma génération, au début des années 1970, on était les enfants des auteurs-compositeurs de la première génération, de la rive gauche, Ferré, Brassens, Ferrat, Félix, Anne Sylvestre… Il y avait dans ce temps-là, en France, une fois dans le progrès par l’action culturelle, par l’éducation populaire.

Par exemple, il y avait à l’époque des milliers de Maisons des jeunes et de la culture qui fonctionnaient très bien, et qui ont joué un rôle important dans la chanson française, parce que ces gens-là avaient des salles dans toutes les villes de France, et ils faisaient travailler des chanteurs. Ça a duré quinze, vingt ans.

Il y avait une foi qui venait de gens comme Jacques Copeau, Léo Lagrange, Jean Vilar, sans oublier le père Legault, au Québec, qui pensaient que la culture est un moyen d’émancipation pour l’humain, mais aussi un but. À cette époque-là, la culture n’appartenait pas aux industries.

Dans Hymne, vous dites aussi: «Puisqu’il faut vivre, au mal, opposons la beauté.» La beauté serait donc une arme?

Tout le vingtième siècle a consisté, pour les artistes – peintres, écrivains – à dire: «La beauté, c’est subjectif, c’est momentané, tu vois bien que les Indiens d’Amérique du Nord n’ont pas la même idée de la beauté que nous.»

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Et en effet, la beauté, c’est quelque chose de culturel. Mais à partir des surréalistes, tout ce que j’ai entendu dans ma vie, c’est: «Ne soyons pas naïfs: détruisons les formes, détruisons les critères, on va inventer autre chose», et le résultat, c’est qu’on n’est pas plus avancés maintenant.

Si je dis: «Puisqu’il faut vivre, au mal opposons la beauté», aussitôt, tous les gens qui savent diront: «Oh, il est naïf, celui-là!» Et je leur dis: «Je vous emmerde, moi! Je fabrique de la beauté. Et alors? Moi, ça va me rendre service pendant un quart d’heure…»

Dans un autre passage dans la chanson, vous décrivez très bien le public lui-même: «Amicaux, attentifs et vous étiez chacun / Plus que lui-même, ensemble plus que votre nombre […] Vous étiez réunis dans le noir, seuls peut-être / Chacun si seul, mais vos passés formant faisceau».

Quand on est dans une salle, on est soi-même en train d’écouter, mais le fait d’être deux ou trois cents, ça crée comme un brasier. Et c’est pour ça qu’on le fait, qu’on se réunit comme ça dans le noir, parce que tout le monde a senti qu’il se passait quelque chose qui ne va pas se passer quand on est dans la bagnole.

Maintenant, j’ai un problème quand j’écoute des chansons tout seul dans ma voiture, parce que j’ai vécu des choses, tout d’un coup, ça me bouleverse trop, je ne supporte pas. Mais si je suis dans une salle, et on est deux cent, dans le noir, à écouter la même chose, ça ne me fait pas du tout la même souffrance, au contraire. Le groupe qui vous écoute vous porte, et ce n’est plus de la souffrance. Ensemble, on peut vivifier des émotions qui, autrement, seraient pénibles.

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Vous avez dit un jour: «Je pratique le plus bel art, celui où on est seul au milieu des gens, et avec la voix, on tente d’impossibles réconciliations.» Que tentez-vous de réconcilier, au juste?

C’est peut-être simplement la réconciliation de l’homme avec le monde, avec la nature, avec le destin, avec le passé. C’est à la fois possible et impossible. Ce soir, c’est un peu réussi, mais demain, c’est à recommencer… C’est toute notre humanité.

– Dominique Denis et Jennifer Hartnel


Hymne

Vous étiez réunis; je vous sentais dans l’ombre
Les yeux sur moi comme ceux de mille félins
Amicaux, attentifs et vous étiez chacun
Plus que lui-même, ensemble plus que votre nombre
[…]

Ce soir-là, vous et moi fûmes l’hymne du monde
En nous ce qui vibre, ce qui vit, c’est le chant
Oui, la révolte nous meut; oui, et l’amour nous fonde
Mais ce feu qui nous porte, c’est le chant!

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Entrevue réalisée par les étudiants du cours de français langue seconde Parlons chanson avec Dominique Denis. Pour en savoir davantage sur ce cours, rendez-vous sur le site www.dominiquedenis.ca


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