Nouvelle tentative pour abaisser l’âge du vote à 16 ans

Est-il utile d'abaisser le droit de vote à 16 ans? Photo: Unsplash
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Publié 18/08/2020 par Guillaume Deschênes-Thériault

En juin dernier, la sénatrice indépendante du Manitoba Marilou McPhedran a déposé un projet de loi visant à abaisser l’âge du vote à 16 ans lors d’élections fédérales. La Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), qui milite pour le vote à 16 ans depuis 2015, appuie avec enthousiasme cette initiative.

Si le projet de la sénatrice McPhedran est adopté, approximativement un million de jeunes citoyens obtiendront le droit de vote à travers le pays.

Le Canada deviendrait alors l’un des rares États dans le monde, avec notamment l’Autriche, l’Argentine, le Brésil, l’Équateur, le Nicaragua et Malte, à permettre à ses citoyens de voter dès l’âge de 16 ans lors d’élections nationales.

Hausser le taux de participation

La sénatrice McPhedran explique que les objectifs de ce projet de loi sont de renforcer les institutions démocratiques canadiennes et d’accroître la participation civique des jeunes «en créant un environnement dans lequel davantage de personnes voteront pour une première fois».

«Si nous voulons que les jeunes occupent leur rôle de membre à part entière de notre société, nous devons leur créer une place à table.»

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Elle estime que son projet pourrait contribuer à augmenter le taux de participation électorale des jeunes, considérablement plus faible que celui de l’ensemble de la population à l’heure actuelle.

En 2015, les électeurs âgés entre 18 et 24 ont voté dans une proportion de 57,1%, la plus élevée des deux dernières décennies pour ce groupe d’âge. Il s’agissait tout de même d’un écart de plus de 10 points de pourcentage avec le taux de participation général de 68,3%. Élections Canada n’a pas encore publié les estimations par groupe d’âge pour l’élection de 2019.

La sénatrice Marilou McPhedran

Une habitude à prendre

Selon la sénatrice, son projet permettrait aux jeunes de voter une première fois en bénéficiant d’un meilleur encadrement familial et scolaire, ce qui favorisait le développement de l’habitude d’exercer ce droit démocratique à long terme.

«Dans la pratique, nous savons que les personnes qui votent à leur première élection sont plus susceptibles de voter à l’avenir. Ce projet de loi permettra de prendre l’habitude de voter à un stade de la vie des jeunes où ils sont soutenus dans le système d’enseignement secondaire», soutient Mme McPhedran.

Les travaux d’Eva Zeglovits, professeure à l’Université de Vienne, viennent appuyer les propos de la sénatrice McPhedran. La professeure Zeglovits fait le constat que le taux de participation des électeurs âgés de 16 et 17 ans lors des élections autrichiennes est plus élevé que celui des autres personnes qui votent pour la première fois et qu’il est comparable à celui de l’ensemble de la population.

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Éducation civique

En Autriche, premier pays européen à adopter le vote à 16 ans, la réforme électorale a été suivie de changements au curriculum scolaire afin de permettre aux jeunes de suivre des cours d’éducation civique dès la 8e année. Selon les recherches d’Eva Zeglovits, cet encadrement scolaire est un élément qui favorise la forte participation électorale constatée chez ces nouveaux électeurs.

À ce sujet, la présidente de la FJCF, Sue Duguay, soutient que les changements proposés à la Loi électorale devraient aussi être accompagnés d’une éducation civique accrue dans les écoles au Canada.

«Quand on parle de l’abaissement du droit de vote à 16 ans, on parle aussi d’une éducation civique qui va de pair avec ce projet de loi. Dans ce sens, on voit vraiment que c’est un projet qui a le potentiel d’avoir des répercussions sur les générations à venir. On parle d’une société qui aurait l’opportunité d’être beaucoup plus éduquée par rapport aux droits citoyens ».

Un sujet qui fait débat

La présidente de la FJCF convient toutefois que le vote à 16 ans est loin de faire consensus au sein de la population canadienne, mais souligne que les réticences d’aujourd’hui rappellent celles évoquées lorsque l’âge du vote est passé de 21 à 18 ans en 1970. «Quand il a été question d’abaisser l’âge du vote à 18 ans, cela n’a pas été accueilli à bras ouverts par la population», précise Sue Duguay.

L’un des principaux arguments évoqués à l’encontre de l’abaissement de l’âge du vote est que les personnes de 16 et 17 ans ne sont pas suffisamment matures et informées pour exercer ce devoir civique.

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Janie Moyen, membre du conseil jeunesse de la sénatrice McPhedran, rejette cet argument en soulignant qu’un manque de connaissances politiques n’est pas propre aux jeunes et que davantage d’éducation civique permettrait de s’attaquer à ce problème.

Dans son cas, elle a atteint l’âge de la majorité peu de temps après les élections d’octobre 2019, et n’a donc pas pu voter, même si elle considère qu’elle aurait très bien été en mesure de le faire. «En tant que jeune de 18 ans, j’ai manqué les élections de quelques mois. De voir que j’étais mieux préparée que plusieurs adultes autour de moi, c’est une ironie presque cruelle. J’avais fait mes recherches», mentionne Janie Moyen.

Sue Duguay, présidente de la FJCF

L’avenir du projet de loi

Le projet de loi n’en est qu’à sa première lecture au Sénat. Pour que l’âge de vote soit réellement abaissé, le projet devra être adopté en deuxième et en troisième lecture par les sénateurs, puis par les députés à la Chambre des Communes. Dans les prochains mois, la sénatrice McPhedran prévoit de continuer à organiser des rencontres avec des sénateurs et des députés de l’ensemble des formations politiques.

Afin de respecter l’esprit de son projet de loi, Mme McPhedran désire accorder une place prépondérante aux jeunes dans les consultations et la promotion liées à son projet. Un comité au sein de son conseil jeunesse est responsable d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de consultation nationale en son nom sur l’abaissement de l’âge du vote auprès des jeunes à travers le pays.

Du côté de la FJCF, Mme Duguay indique que son organisme compte bien poursuivre son travail de sensibilisation auprès des élus et de la population. «On n’a jamais arrêté les démarches politiques à ce sujet. Depuis que nous avons reçu ce mandat en 2015 [de militer pour l’abaissement de l’âge du vote], il en a toujours été question dans nos rencontres politiques.»

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Dans les dernières années, d’autres initiatives similaires à celles de la sénatrice McPhedran n’ont toutefois pas abouti. En janvier 2016, le député néo-démocrate Don Davies a déposé un projet de loi à la Chambre des Communes pour abaisser l’âge du vote à 16 ans. Celui-ci n’a jamais dépassé le stade de la première lecture.

En décembre 2014, le chef du Parti vert du Nouveau-Brunswick, David Coon, a proposé d’abaisser l’âge du vote pour les élections provinciales, notamment à la suite de la campagne #Vote16NB de la Fédération des jeunes du Nouveau-Brunswick (FJFNB). Ce projet est lui aussi mort au feuilleton.

Pas d’engagement du gouvernement

Le ministre responsable de la Loi électorale du Canada, Dominique LeBlanc, est actuellement le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Il est aussi le principal point de liaison entre le cabinet et la représentation du gouvernement au Sénat.

Dominic LeBlanc

Questionné par écrit par Francopresse, il est demeuré vague sur sa position sur l’âge du vote à 16 an: «J’ai pris connaissance du projet de loi de la sénatrice et suivrai avec attention les débats au Sénat»…

Ni la sénatrice McPhedran ni la FJCF n’ont réussi à obtenir une rencontre avec le ministre jusqu’à présent. «J’espère que nous aurons l’occasion de nous assoir avec lui, de manière virtuelle, et d’en parler», conclut Sue Duguay.

Auteur

  • Guillaume Deschênes-Thériault

    Doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa et chroniqueur à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec Réseau.Presse.

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