Nostalgie d’eau

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Publié 19/03/2008 par Pierre Léon

Le vin est la plus saine des boissons. – Pasteur

Gargantua est venu au monde en criant: «À boire»! Je suis, moi aussi, un buveur de vin. J’aurais fait un bien mauvais musulman. Mais le médecin de ma Touraine natale m’a enseigné que le vin «c’est du sang tout fait».

Pourtant, quand il m’arrive d’avoir bien soif, un grand verre d’eau me régale! Dans le monde moderne, les eaux minérales ont remplacé celle du robinet qui a parfois un goût atroce de médicament. Les marchands d’eaux et les restaurateurs s’en réjouissent!

Je ne peux m’empêcher de songer au joli temps de mon enfance où l’on buvait l’eau du puits. Il faisait 36 mètres de profondeur à la boulangerie paternelle, sur le coteau des Roches Saint-Paul, au pays de Rabelais. Il en fallait des tours de treuil pour remonter le grand seau en bois plein de cette eau claire!

On m’avait mis tôt à tourner la manivelle. Je devais guetter le bruit du seau tombant sur l’eau et savoir quand commencer à le remonter encore pas trop plein pour mes muscles de dix ans. Les commis, eux, tiraient des seaux de vingt litres.

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Dix pour le pétrin, six fois par jour. Et quand, le jeudi, Ernestine Hersant venait en journée laver le linge bien sale des dix personnes qui habitaient la boulangerie, elle commençait son travail au puits.

D’abord remplir son immense chaudron où elle mettrait à bouillir la première tournée de sa lessive. Elle en ferait une deuxième plus tard. Elle finirait de laver et frotter à la nuit tombante, à la rivière qui, elle aussi, avait une belle eau, claire et vive.

De temps à autre, le puisatier passait. Je le voyais s’enfoncer et disparaître dans le puits, bien effrayé pour lui, qui ne l’était guère. Il remontait modestement triomphant avec quelques morceaux de pierres, que le seau cognant sur les parois avait fait tomber. Parfois des insectes, malgré le couvercle que l’on devait soigneusement remettre en place après avoir tiré l’eau. Mais tout le reste était en bon état et le fond crayeux bien propre et net avec sa source bondissante.

Un beau jour, de 1936, je crois, l’électricité a été installée dans le village. C’était comme un coup de tonnerre. Mon père a été le premier à acheter un moteur pour le pétrin et un autre pour tirer l’eau du puits!

Je vous laisse imaginer quelle joie à la boulangerie. Quelles corvées en moins pour la cuisine de ma mère, le pain de mon père, la lessive d’Ernestine, la toilette de tout le monde.

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Il faudra attendre encore pour que toute la maison soit équipée et que cette eau miraculeuse devienne chaude. Mais on était passé du Moyen Âge au XXe siècle en quelques jours!

On a continué, l’eau moderne n’étant plus celle du puits de mon enfance, à en faire une bonne excuse pour la remplacer, plus que jamais, par ce délicieux cabernet franc, le Chinon, qui réjouissait tant Maître François Rabelais.

Je suis très fier d’en avoir planté une vigne qui me rapporte quelques 300 bouteilles par an (mais ça ne fait même pas une par jour)! Et j’aime à penser avec Boileau, dont le nom contredisait ironiquement la jolie formule qu’il appliquait au vin:
«On est savant quand on boit bien,
Qui ne sut boire ne sut rien!»

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