Nations-Unies: Ahmadinejad brise les tabous et les demoiselles quittent la salle

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 03/10/2011 par Shodja Eddin Ziaïan

Lies, sex and the UN aurait pu servir de titre pour illustrer la situation critique dans laquelle se trouve notre monde, en particulier les pays atlantiques – Europe de l’Ouest et surtout Amérique du Nord servant de modèle.

Mensonge quotidien du politiquement correct, scandales sexuels de politiciens aux mœurs trop légères ou facilement corrompues par l’argent… C’est cette décadence morale qui fait la force de la Qaida et des islamistes que la force des armes ne pourra réduire, tout au contraire. C’est elle qui permet à un Mahmoud Ahmadinejad de se déchaîner à la tribune de l’ONU contre les États-Unis et le désordre mondial.

Le président irano-islamique, en effet, vient de briser à nouveau les tabous à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, une organisation qui n’en porte que le nom, étant à double titre une organisation des États-Unis, composée d’États qui ne sont pas toujours des nations. Admis comme États membres figurent de minuscules entités territoriales de quelques dizaines ou centaines de milliers d’habitants comme Andorre, Bahamas, Bahrein, Barbade, Belize, etc. (ordre alphabétique) et qui y ont une voix égale à l’Inde, le Brésil, le Japon, l’Iran, l’Allemagne, le Canada…!

La nation kurde (plus de 20 millions de kurdes) n’y est pas représentée, ni les Pashtuns, ni Sindis, ni Pundjabis, ni les Français du Canada (la nation Québécoise). Et la nation palestinienne qui souhaite en devenir État membre n’y parvient pas, car, nul ne l’ignore, s’y oppose l’État d’Israël, petit, mais surarmé, démocratique à l’occidental, et soutenu par la superpuissance américaine dont il séduit le complexe militaro-industriel-financier.

Les États-Unis d’Amérique menacent donc d’exercer leur droit de veto contre l’admission de la nation palestinienne comme État membre de l’ONU, droit de veto que cet État et ceux de la France, de l’Angleterre (du Royaume Uni), de la Russie et de la Chine formosienne s’étaient arrogé en tant que vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
Que cet ordre ou désordre mondial désuet doive donc être modifié et remplacé par un nouvel ordre pacifique et rationnel, depuis longtemps nul esprit quelque peu sain n’en doute. Fallait-il donc Mahmoud Ahmadinejad pour nous le rappeler à sa manière à la tribune de l’ONU et pour condamner cette arrogance de quelques États qui s’arrogent le droit de dominer le monde et de décider du sort des autres peuples?

Publicité

Piètre image donc que celle des délégations de ces mêmes pays quittant la salle, une fois de plus, pour ne pas entendre les quatre vérités que nul n’ignore, mais que le président irano-islamique, dont le pays est militairement assailli et encerclé par ces mêmes pays faut-il le rappeler, leur flanque en pleine figure de manière assez insolente. Image insolite que celle de délégués de puissances et grande puissance quittant la salle comme des demoiselles pudiques ne voulant pas entendre des propos qui les feraient rougir.

Si on croit isoler l’Iran en partant, isoler un Mahmoud Ahmadinejad peu présentable, ne portant pas la cravate, ne respectant pas les convenances et ne ménageant pas ses propos, on se trompe et on se détache de la réalité: le monde ne peut continuer à ce train, on le sait, ça ne peut durer, il y a trop d’injustices et de souffrances, sans parler des graves problèmes écologiques. Toute l’Afrique, tout le corpus majoritaire de la population mondiale, tous les pays pauvres ou beaucoup moins riches n’ont que faire de ces convenances nord-atlantiques onusiennes et des étiquettes somme toute hypocrites que leurs délégués mimiquent. Quant au message des délégués des pays nord-atlantiques quittant la séance durant le discours du président irano-islamique, il s’agit d’une démarche belliqueuse d’abandon de dialogue. Ils feraient mieux d’écouter et surtout de faire face aux réalités.

Si l’on croit isoler ainsi M. Ahmadinejad, on perd aussi de vue que, malgré les propagandes anti-iraniennes de certains gouvernements arabes, il est encore plus populaire dans le monde arabe que le populaire président Obama. On perd aussi de vue que la grande majorité des Français, Anglais et Allemands et la majorité des Américains (je cite des pays sympathiques à Israël), et, peut-être, une majorité d’Israéliens eux-mêmes, souhaiteraient l’admission à l’ONU d’un État palestinien (69% des Israéliens accepteraient la décision onusienne de reconnaître un État palestinien, indiquait récemment le Jerusalem Post).

Même si j’admire le discours onusien du président Obama, comme ses autres discours, même si je suis touché par les discours passionnés, tout à tour, du président Mahmoud Abbas et du premier ministre Benjamin Netanyahu, c’est toutefois celui du président Ahmadinejad qui retient l’attention en raison de sa substance globale subversive, malgré le délirium religieux qui l’accompagne et l’entoure: les formalités et discours hypocrites ne suffisent plus en ces moments de détresse et de crise, les tabous doivent être brisés.

Le système moderne de société est en crise depuis longtemps et les sonnettes d’alarme se sont fait entendre clairement depuis les années 1960 à qui ne voulant pas faire la sourde oreille.

Publicité

Je le signale depuis des années, le projet de système islamique se voulant mondial n’est qu’une réaction sérieuse à cette crise de notre monde, une régression face aux difficultés que le système moderne vieux de cinq siècles éprouve depuis un demi-siècle et qui deviennent de plus en plus aiguës. Il n’y a jamais eu en Iran de révolution islamique comme on dit (contre un roi despote – Mensonge!), mais il y a eu, en 1978-9, en Iran, le déclenchement d’une contre-révolution islamique à l’échelle mondiale, contre la modernisation et la modernité.

Les deux systèmes, moderne (occidental) et pré-moderne (islamique), tous les deux caractérisés par le recours à la violence, se rejoignent souvent comme les deux faces d’un même Janus. On l’a constaté depuis le 11 septembre 2001. Les réticences concernant l’usage de la violence dans un monde qui s’oriente vers le post-moderne s’affirment de plus en plus, mais les soubresauts violents sont tout non seulement possibles, mais inévitables, comme nous l’avons vu avec l’administration américaine de Bush-Cheney-Rumsfield, voire d’autres gouvernements de droite comme celui de Stephen Harper au Canada ou de Nicholas Sarkozy en France.

Contrairement à ce que l’on suggère souvent en croyant percevoir un Choc des civilisations (A Clash of Civilization, Huntington) entre l’Occident et l’Islam, ce qui se passe vraiment sur notre planète c’est que la force de destruction islamique (pré-moderne) est en train de saper les fondements de la modernité, d’une modernité en crise qui n’est pas encore parvenue à se dépasser.

Cela fait une trentaine d’années que je le vois et le prévois: le système moderne économiste, productionniste et inter-état-nationaliste né d’une renaissance rejetant l’obscurantisme religieux, est aujourd’hui nié d’une part par des forces progressistes écologistes et pacifistes, mais aussi par une antithèse réactionnaire, celle que représente le fondamentalisme cosmopolite islamique qui dénonce le système moderne et le combat. Ce dernier combat entre deux systèmes obsolètes belliqueux devrait avoir pour synthèse la consolidation d’un nouveau système planétaire post-moderne en voie de formation dont les contours vont se préciser.

En se niant réciproquement l’une l’autre, ces deux forces bellicistes et belliqueuses continueront à être, sans le voir ni le vouloir, les accoucheuses de notre nouvelle société post-moderne en formation: la société mondiale pacifique d’information et de coopération dans laquelle les États-nations s’effacent et s’effaceront de plus en plus au profit de gouvernements régionaux s’occupant des affaires locales et d’un gouvernement mondial répondant aux besoins globaux, système dans lequel la guerre deviendra de plus en plus désuète sauf, pour longtemps et pour nous rappeler son existence, dans les films de hollywood et les jeux vidéos, mais aussi dans certains esprits affectés par les bourrages de crâne.

Publicité

Certes, l’accouchement ne se fait ni ne se fera entièrement sans douleur.

* Shodja Eddin Ziaïan est enseignant à Glendon, collège bilingue de l’université York, à Toronto, chercheur associé au York Center for International and Security Studies; ancien rédacteur à la radio-télévision iranienne et islamique à Téhéran.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur