Toute démarche artistique, en chanson comme ailleurs, se veut une manière de cheminement identitaire, une tentative de répondre aux questions «Qui suis-je?» et «Quelle est ma place sur cette planète?». Avec Fragments d’identité (4 Vents/Local Distribution), l’auteur-compositeur fransaskois Michel Marchildon part de la prémisse que le long fleuve de la mémoire est tout, sauf tranquille, et les noms qu’il invoque – Assiniboine, Qu’appelle, Rouge et, pourquoi pas, Mississippi – sont autant d’invitations à un voyage dont on sait qu’il sera parsemé d’embuches.
De facture folk atmosphérique (une prise de son un peu plus caverneuse, et la réalisation aurait pu être signée Daniel Lanois), Fragments d’identité rappelle les albums-concepts des épiques années 70, en ce qu’il s’articule tout entier autour de l’exploration de mythologies issues d’un temps irrationnel, celui des explorateurs et des pionniers, un temps qui forgeait les hommes et les brisait parfois, en les confrontant aux rigueurs des saisons, à la solitude et à leurs propres démons.
«J’suis Bill Hébert/J’vous connais pas/Mais là d’où j’viens/Y’ont peur de moi/Y’ont peur de qui?/Y’ont peur de quoi?», annonce notre narrateur-héros dans le premier d’une série de tableaux qui cherchent à déborder le cadre de la chanson conventionnelle, préférant souvent l’incantation d’inspiration autochtone à la mélodie de facture occidentale.
Bill quitte sa cabane au fond du bois pour aller partager la couche de sa bonne amie la Saskawan, «le temps d’une nuit» où l’âme et la chair ne font qu’un dans une réconciliation qui est aussi celle du Blanc avec cette présence indienne trop souvent définie par opposition à ce que nous sommes. En ce sens, Marchildon reprend à son compte une revendication œcuménique à laquelle on associe Chuck Labelle et Richard Desjardins, entre autres orfèvres.
Il convient d’applaudir un artiste qui, dès son premier album, a su se donner (et nous donner) un fil conducteur, et qui a le souffle de mener à terme une entreprise aussi ambitieuse, en déployant une palette instrumentale à l’image de son décor d’horizons à perte de vue. Dommage que Michel Marchildon n’ait pas encore appris à doser ses effets de façon à retenir notre intérêt tout au long du voyage.