Mythes et mémoire de Marchildon

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Publié 11/09/2007 par Dominique Denis

Toute démarche artistique, en chanson comme ailleurs, se veut une manière de cheminement identitaire, une tentative de répondre aux questions «Qui suis-je?» et «Quelle est ma place sur cette planète?». Avec Fragments d’identité (4 Vents/Local Distribution), l’auteur-compositeur fransaskois Michel Marchildon part de la prémisse que le long fleuve de la mémoire est tout, sauf tranquille, et les noms qu’il invoque – Assiniboine, Qu’appelle, Rouge et, pourquoi pas, Mississippi – sont autant d’invitations à un voyage dont on sait qu’il sera parsemé d’embuches.

De facture folk atmosphérique (une prise de son un peu plus caverneuse, et la réalisation aurait pu être signée Daniel Lanois), Fragments d’identité rappelle les albums-concepts des épiques années 70, en ce qu’il s’articule tout entier autour de l’exploration de mythologies issues d’un temps irrationnel, celui des explorateurs et des pionniers, un temps qui forgeait les hommes et les brisait parfois, en les confrontant aux rigueurs des saisons, à la solitude et à leurs propres démons.

«J’suis Bill Hébert/J’vous connais pas/Mais là d’où j’viens/Y’ont peur de moi/Y’ont peur de qui?/Y’ont peur de quoi?», annonce notre narrateur-héros dans le premier d’une série de tableaux qui cherchent à déborder le cadre de la chanson conventionnelle, préférant souvent l’incantation d’inspiration autochtone à la mélodie de facture occidentale.

Bill quitte sa cabane au fond du bois pour aller partager la couche de sa bonne amie la Saskawan, «le temps d’une nuit» où l’âme et la chair ne font qu’un dans une réconciliation qui est aussi celle du Blanc avec cette présence indienne trop souvent définie par opposition à ce que nous sommes. En ce sens, Marchildon reprend à son compte une revendication œcuménique à laquelle on associe Chuck Labelle et Richard Desjardins, entre autres orfèvres.

Il convient d’applaudir un artiste qui, dès son premier album, a su se donner (et nous donner) un fil conducteur, et qui a le souffle de mener à terme une entreprise aussi ambitieuse, en déployant une palette instrumentale à l’image de son décor d’horizons à perte de vue. Dommage que Michel Marchildon n’ait pas encore appris à doser ses effets de façon à retenir notre intérêt tout au long du voyage.

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Notre troubadour est un peu trop imbu de ses mythologies, un peu trop conscient de l’importance de sa mission pour s’abandonner tout à fait au plaisir de l’acte musical.

Et si son parti pris incantatoire (une manière de proto-rap) est en symbiose avec les thèmes qu’il explore, le manque de relief mélodique de la plupart des morceaux entraîne une certaine lassitude, qui fait de Fragments d’identité un disque à l’image des plaines qui en sont le décor, et un disque qui force l’admiration, sinon l’adhésion.

Les bleus de rose

Elle s’appelle Rose, tout simplement, et son disque aussi. Il s’agit de son premier, paru en France l’an dernier, où son cocktail de mélancolie acoustique n’a pas tardé à se trouver un vaste public, confirmant la prédilection hexagonale pour ce genre de voix – menue, voire transparente – qui fit tour à tour le succès de Françoise Hardy, Jane Birkin et Enzo Enzo.

Mais si j’ai eu envie de vous parler de cet album, que le distributeur Fusion III vient d’éditer de ce côté de la mare, je ne suis pas disposé à en faire la critique en bonne et due forme. Ce n’est pas par paresse (enfin, pas uniquement par paresse), mais parce que la musique de Rose est bien plus que la somme de ses parties. Ou, plus exactement, elle est autre chose que la somme de ses parties.

Une petite voix, donc, une douzaine de chansons qui affichent sans gêne leur première personne du singulier, des arrangements qui dosent savamment leurs ingrédients folk, country et jazz (on pense tantôt à Madeleine Peyroux, tantôt à Glenn Campbell ou à la trame sonore de Midnight Cowboy) et même quelques jolies trouvailles d’écriture («Si je bois et si je noie/Ma chaude peine dans mon sang-froid/Si je saigne et si je signe/De mes larmes ton cœur indigne»), mais vraiment rien qui fasse crier au génie ou qui soit susceptible de nous ouvrir de nouveaux horizons.

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Pourtant, il y a dans cette musique, dans ce «je» qui nous tient lieu de guide et, pourquoi pas, de miroir, un je ne sais quoi qui donne envie de prendre le prochain bus en direction de New York, Montréal ou Vancouver – qu’importe la destination, pourvu que cette voix nous y accompagne. On aurait presque envie d’être sous l’effet d’un chagrin d’amour, dont ces chansons faussement légères seraient la bande-son idéale, et qu’on écouterait en boucle pour mieux se libérer des enclumes d’un quotidien en manque de poésie.

Reste à voir si cette Rose se fanera avant d’atteindre la postérité, mais tant qu’il y aura des cœurs à chavirer, des bus à prendre et des amours à oublier, il y aura un besoin de chansons comme celles-là, et d’une voix juste assez fragile pour venir nous chercher là où la douleur se confond au plaisir.

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