Mystérieux Soha!

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 07/12/2010 par Pierre Léon

Côté verbal, il a une grande gueule, plutôt sympa, Daniel Soha. Quand il est devant sa feuille blanche, il consent à être sérieux, son écriture châtiée balaie tous les registres. Il aime bien surprendre son bourgeois de lecteur. Ainsi le mystérieux titre L’Orchidiable* annonce-t-il le récit d’une adolescente qui porte en elle une fleur rare et… diabolique. La métaphore érotique donne le ton à tout le livre et croît jusqu’à une incessante pornographie; du genre soft, tout de même. On reste entre gens du monde. Le roman se déroule comme une série de séquences de film, pour public pervers.

Au plan de la forme du contenu, la technique d’ensemble de L’Orchidiable est celle du roman dans le roman. En effet, le héros narrateur part à la recherche de la vedette d’un film porno, qui ne cesse de l’obséder. Le suspense s’arrête là, pendant que l’héroïne, la belle Samantha, à la fleur insatiable, est entraînée dans une quête du sexe, jamais parfaite, jamais terminée, celle de la génération de la permissivité, où le sexe avait remplacé l’amour. Luigi, amant étrange de Samantha, lui, se fait fort de trouver dans la débauche la vérité et l’essence des choses. C’est un des personnages les plus hauts en couleur et les plus attachants du roman.

Le narrateur poursuit sa recherche. On le perd très vite. On ne le reverra qu’à la fin. Le roman, qui aurait pu être un polar, se déroule sans les vieux trucs du genre. Soha est au-dessus de ça. Pas de malfrats, de criminels, d’espions, de poursuites, de beaux crimes, même passionnels. On retrouve, alors qu’on l’avait oublié, le narrateur du début, qui a enfin réussi à rejoindre l’objet de son désir, devenu plus intellectuel que charnel.

Au plan de l’expression, le style fluide de Soha est un régal. Il m’a juré détester Proust. En a-t-il trop lu? C’est bien possible à lire les phrases de ce texte, longues et compliquées d’incises trop bien léchées.

L’Orchidiable est un roman hors du commun, déroutant – c’est bien du Soha – à la fois érotique, mystérieux et terriblement intellectuel.

Lorsqu’on a annoncé Soha finaliste du Trillium, s’il eût fallu pronostiquer entre les deux romans dont Soha venait d’accoucher, on aurait parié pour L’Orchidiable. Mais la malice du jury a voulu brouiller les pistes en choisissant La maison, une parabole**, autre roman 2009 du prolifique auteur.

Publicité

Ce roman casse-tête commence comme la célèbre phrase de Proust, légèrement modifiée : « Depuis combien de temps… » Et nous nous embarquons sur la recherche du temps perdu. Les personnages du roman vont passer leurs loisirs dans une mystérieuse maison, à la quête de leur identité et de leur passé.
En ont-ils même un? « Panjer, qui semble être celui de nous qui a le meilleur souvenir de l’ordre ancien, a toujours affirmé que nous étions les survivants d’un grand cataclysme, et que la Maison était une sorte de refuge et d’abri.

Mais maintenant, je sais que Panjer nous ment, j’en ai eu la preuve; d’ailleurs, il n’a jamais su nous expliquer pourquoi nous avions tous perdu la mémoire, et franchement, prétendre que la Maison était un « édifice intelligent » qui avait le pouvoir de gouverner nos souvenirs pour notre bien – une sorte d’anesthésie mentale, quoi – c’est quand même un peu cousu de fil blanc. »

Si j’ai cité ces .longues phrases, à la Proust, c’est qu’elles résument bien les problèmes posés par l’auteur. Ils vont donner lieu à de multiples discussions, que l’on pourrait clore par cette exclamation (à peine audible) d’une habitante de la Maison : « Pour moi, il est vital de résister à la folie; et pour cela, il est vital que ces rêves n’aient aucun sens. »

Parmi tous ces adultes sans passé, somnambules à la folie douce, Soha fait s’éveiller, après une opération du cœur, Réjean Toupin, que l’on soupçonne d’avoir rêvé tout le roman! Canadien, à n’en pas douter. L’auteur lui fait poser la question de la réalité et des illusions, dont celle de la littérature, « en tout cas d’une certaine littérature »… Ô Canada! Sans ces dernières remarques perfides, il aurait eu le Trillium, Soha. Le Dumitriu Van Saanen aura-t-il plus le sens de l’impertinence?
….
*L’Orchidiable, Toronto, GREF, 2009
** La Maison, une parabole, Toronto, GREF, 2009

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur