Montée de l’anti-bilinguisme au Nouveau-Brunswick

élections 24 septembre 2018
Le chef conservateur Blaine Higgs et le premier ministre libéral Brian Gallant.
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Publié 18/09/2018 par Lucas Pilleri

La campagne électorale au Nouveau-Brunswick, en vue du scrutin de ce lundi 24 septembre, aura été marquée par une montée de l’anti-bilinguisme et des calculs électoraux qui écartent les enjeux francophones du débat. Certains observateurs craignent un scénario où aucun élu francophone ne se retrouve dans la majorité.

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Brian Gallant

Les Libéraux de Brian Gallant, actuel premier ministre de la province, mènent la course dans les sondages avec près de 40% des intentions de vote. Mais ils sont talonnés par les Progressistes-conservateurs de Blaine Higgs qui récoltent plus de 30% des intentions.

Un premier ministre unilingue?

Les deux favoris sont diamétralement opposés. Brian Gallant, 36 ans, est dépensier et optimiste, misant sur la justice sociale et les programmes sociaux. Blaine Higgs, 64 ans, prône la prudence budgétaire, lui qui a occupé un poste de direction chez le géant pétrolier Irving Oil et a été ministre des Finances.

Le premier est bilingue, le second est unilingue anglophone et a été membre du COR, un parti anti-bilinguisme dissous en 2002.

Blaine Higgs inquiète foncièrement les francophones. Surtout après avoir déclaré qu’on pouvait embaucher des ambulanciers unilingues et les former au français par la suite, une idée qui va à l’encontre de la dualité linguistique de la province.

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Il n’a pas non plus tenu sa promesse d’apprendre le français depuis son élection en 2016. Même si l’homme politique dit avoir changé, la méfiance règne. À tel point que des candidats du parti se sont même réunis sans lui pour rassurer les francophones des intentions de leur chef.

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Un silence pesant

Le vote francophone du Nouveau-Brunswick se porte habituellement vers les candidats libéraux.

Toutefois, beaucoup de francophones voteront pour «le moindre mal» en choisissant les Libéraux, selon les mots de Robert Melanson, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), médusé par la tournure qu’a prise la campagne. «Je n’ai jamais vu des francophones se faire autant attaquer», témoigne-t-il.

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Robert Melanson, président de la SANB.

Tout a commencé avec le refus de faire un débat des chefs en français à Radio-Canada Acadie à cause de l’unilinguisme de Blaine Higgs.

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À la place, un débat télévisé bilingue a été organisé le 14 septembre à Fredericton, diffusé sur Télévision Rogers avec une traduction simultanée qui a dû être payée par la SANB, le Conseil économique du Nouveau-Brunswick et l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB).

«Je trouve ça scandaleux. Être unilingue anglophone pour diriger le Nouveau-Brunswick, c’est impensable. Sur six candidats, trois sont unilingues anglophones», déplore Robert Melanson.

Percée de l’Alliance des gens

La percée de l’Alliance des gens à plus de 10% dans les derniers sondages (un meilleur score que celui des Verts et du NPD) est sur toutes les lèvres. Ce parti présente le bilinguisme comme le responsable des difficultés rencontrées par la province: 14 milliards $ de dette et un taux de chômage de plus de 9%.

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François Gravel, éditorialiste à l’Acadie Nouvelle.

L’Alliance a entre autres déclaré vouloir supprimer le commissariat aux langues officielles de la province. Blaine Higgs lui-même est resté vague durant le débat télévisé quant au maintien du poste.

«L’ancienne commissaire Katherine d’Entremont est devenue une ennemie publique. Elle a été démonisée par une minorité anglophone», analyse François Gravel, éditorialiste pour l’Acadie Nouvelle. La commissaire s’était attiré les foudres lorsqu’une de ses enquêtes avait abouti au remplacement d’un agent de sécurité unilingue anglophone à un poste bilingue dans un édifice gouvernemental à Fredericton.

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Francophone rime avec minimum

Du côté des autres partis, silence radio. En cause: des calculs électoraux qui rendent le dossier francophone peu attrayant.

«Les Progressistes-conservateurs et les Libéraux se gardent d’être trop proches des francophones. Ils ne veulent pas trop en parler. Le Parti libéral considère le vote francophone comme acquis. Il n’y a pas de gains possibles avec cette question-là, seulement des pertes», explique François Gravel.

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Roger Ouellette, professeur de sciences politiques à l’Université de Moncton.

En effet, 15 des 16 circonscriptions à majorité francophone avaient été remportées par les Libéraux en 2014, rappelle Roger Ouellette, professeur de sciences politiques à l’Université de Moncton. Aussi s’agit-il pour le premier ministre en place «de garder le vote francophone tout en ne s’aliénant pas celui des anglophones».

Une position délicate qui déçoit, car elle s’accompagne d’un manque de positionnement. «Il n’y a pas de propositions avant-gardistes ou audacieuses pour les francophones. C’est un service minimum», observe le professeur.

Face à la menace que présente l’Alliance des gens, les principaux partis sont peu vocaux. «On aimerait les voir défendre davantage les principes de la loi sur l’égalité linguistique», estime le directeur général de l’AFMNB, Frédérick Dion, déçu.

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«Du côté du pouvoir en place, on se contente d’agiter l’épouvantail Blaine Higgs pour conserver le vote francophone», discerne Roger Ouellette.

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Frédérick Dion, directeur général de l’AFMNB.

Pas d’oreille attentive

Certains organismes francophones ont fait parvenir aux partis une liste de dossiers prioritaires afin de les sensibiliser à la réalité des communautés.

L’AFMNB demande par exemple une dualité linguistique en immigration afin de relever la proportion décevante de 20% d’immigrants francophones qui ne permet pas de soutenir le poids démographique de 33% de francophones dans la province.

L’enjeu au Nouveau-Brunswick est aussi et surtout le développement des régions du nord. Avec une population acadienne et francophone vivant à 70% dans les districts de services locaux, c’est-à-dire à l’extérieur des municipalités, plusieurs voudraient faciliter les regroupements en retirant les barrières fiscales et administratives.

«Il faut changer les règles pour offrir des services de qualité aux citoyens et combler les écarts de richesse entre les municipalités», revendique Frédérick Dion.

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Campagne électorale étrange

Mais ces demandes restent sans réponse puisqu’aucune plateforme partisane n’en fait mention. Les francophones seraient-ils donc les grands perdants de cette élection?

«C’est une campagne électorale étrange», s’étonne François Gravel. «Aucun des partis n’offre présentement des idées pour améliorer les services en français ou pour aider la minorité francophone», regrette-t-il.

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Blaine Higgs

Avec la question des droits de la minorité linguistique sous le tapis, plusieurs observateurs craignent le pire: un gouvernement progressiste-conservateur minoritaire soutenu par l’Alliance des gens et sans élu francophone. «On rentrerait alors dans des eaux inconnues et assez inquiétantes», avise Roger Ouellette.

49 sièges

L’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick compte 49 membres, un pour chaque circonscription. Il faut 25 sièges pour obtenir la majorité. Sur les 49 circonscriptions, 16 sont majoritairement francophones. 33% des électeurs de cette province de 750 000 habitants ont le français comme langue maternelle.

bilinguisme au Nouveau-Brunswick

Auteur

  • Lucas Pilleri

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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