Michael Ignatieff nuance ses propos sur l’inévitable indépendance du Québec

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Publié 24/04/2012 par Joan Bryden (La Presse Canadienne)

à 19h43 HAE, le 24 avril 2012.

OTTAWA – L’ex-chef du Parti libéral Michael Ignatieff a été forcé, mardi, de faire marche arrière concernant ses propos tenus sur les ondes de la BBC et portant sur une inévitable séparation du Québec.

Dans un courriel transmis à La Presse Canadienne, M. Ignatieff a affirmé que rien n’est inévitable en politique et rien ne serait plus indésirable qu’une séparation.

Sa déclaration a été répudiée par l’ensemble des fédéralistes et c’est son ami et compagnon de chambre à l’université, Bob Rae, actuel chef intérimaire du Parti libéral, qui a été le premier à le critiquer.

Dans une lettre expédiée au quotidien Globe and Mail, M. Ignatieff a réaffirmé son inébranlable foi dans l’unité canadienne, alléguant qu’il avait été cité hors contexte.

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«Mes commentaires, cités en hors de leur contexte lors d’une entrevue avec la BBC d’Écosse, ont totalement désemparé mes amis fédéralistes francophones et anglophones à travers le pays, a-t-il écrit dans sa lettre. Étant donné mon profond désir de voir le Québec demeuré à l’intérieur Canada et d’entendre mes amis défendre cette cause avec autant de courage et de fierté, je suis vraiment désolé du tort que mes propos ont pu causer à l’unité de mon pays.»

Lors de l’entrevue, portant sur les pressions internationales en faveur d’un référendum écossais sur l’indépendance de la région prévu pour l’année 2014, il avait souligné que si l’Écosse se séparait du Royaume-Uni, on pouvait s’attendre à d’autres voix séparatistes autour du monde comme celle des Québécois face au Canada.

Le professeur d’université avait suggéré que le Québec, en obtenant de plus en plus de pouvoirs du gouvernement fédéral, chemine vers son indépendance.

S’il n’a pu exposer clairement sa position lors de l’entrevue, Michael Ignatieff a assuré mardi qu’il ne voulait pas trahir la cause qui lui tenait à coeur tout comme à ses amis fédéralistes à travers le Canada.

L’Écosse et le Québec

En entrevue lundi avec la British Broadcasting Corporation (BBC), Michael Ignatieff a prévenu les auditeurs que le visage du Royaume-Uni serait inévitablement changé par le référendum à venir en Écosse, et ce, peu importe les résultats du vote.

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M. Ignatieff a illustré ses propos en citant l’exemple du Québec et de son mouvement souverainiste, affirmant que le Canada avait cédé des pouvoirs à la province pour satisfaire sa soif d’une plus grande autonomie. Il a toutefois laissé entendre qu’une telle situation était seulement temporaire.

«Je pense que c’est un peu comme une escale — vous vous y arrêtez pour un instant. Mais je pense que la logique, ultimement, c’est l’indépendance. L’indépendance totale», a-t-il déclaré.

«Je crois qu’ultimement, c’est vers là que ça se dirige», a-t-il répondu lorsque l’animateur écossais lui a demandé s’il évoquait l’indépendance à la fois pour le Québec et l’Écosse.

Après avoir mené les libéraux à une défaite historique aux élections fédérales du 2 mai 2011, le journaliste de longue date et universitaire s’est tourné vers un poste de professeur à l’université de Toronto.

Les élections québécois ont tourné le dos au Bloc québécois lors de ce dernier scrutin, mais la mouvance souverainiste a connu un regain de vigueur ces derniers temps, avec le Parti québécois caracolant à nouveau dans les sondages.

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M. Ignatieff a poursuivi en se disant attristé de constater à quel point le Canada et le Québec se sont isolés l’un de l’autre et n’ont plus rien à se dire. Selon lui, l’optimisme de la dernière décennie a cédé le pas au désillusionnement.

«Le problème c’est que nous n’avons plus rien à nous dire. Il semble y avoir une entente mutuelle pour l’indifférence, qui est franchement frappante pour une personne de ma génération», a soutenu l’ancien politicien.

Mais cela n’a pas toujours été le cas, a-t-il affirmé aux auditeurs britanniques.

Le Québec jouait un rôle central dans l’identité canadienne lorsqu’il était plus jeune, a poursuivi M. Ignatieff.

«Je ne peux pas concevoir ce pays sans le Québec», a-t-il déclaré, ajoutant, dans la langue de Molière, qu’il parle le français.

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Nouveaux pouvoirs

M. Ignatieff a cité l’immigration, le développement des ressources naturelles, l’éducation et les soins de santé comme autant de champs de compétence cédés par le Canada pour maintenir la paix avec les souverainistes québécois.

Certains de ces exemples de pouvoirs sont toutefois aussi vieux que le pays lui-même, et sont enchâssés dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

Les propos de M. Ignatieff n’ont pas manqué de susciter la surprise de plusieurs observateurs de la scène politique québécoise.

«Quelqu’un les a vu passer (ces nouveaux pouvoirs)?», a lancé la journaliste politique Josée Legault sur sa page Twitter.

«Je présume que le Québec a obtenu ces «nouveaux pouvoirs radicaux» en se distinguant de la délégation canadienne à l’UNESCO», a-t-elle poursuivi.

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Le premier ministre Stephen Harper avait offert au Québec un rôle quasi officiel à l’UNESCO peu après son arrivée au pouvoir, en plus de reconnaître le caractère distinct de la nation québécoise avec une motion votée aux Communes.

Ces ouvertures ne se sont toutefois pas traduites par des percées au Québec pour les conservateurs de M. Harper.

Réactions

Les réactions ont fusé de toutes parts, mardi, suite aux propos de Michael Ignatieff.

L’ancien chef du Parti libéral du Canada (PLC) Michael Ignatieff est déconnecté de la réalité lorsqu’il prétend que le Québec se dirige vers la souveraineté, estiment François Legault et les libéraux du Québec.

La chef péquiste Pauline Marois croit au contraire que M. Ignatieff, qui aspirait encore à diriger le Canada il y a à peine an, s’est exprimé avec la sagesse d’un grand intellectuel.

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À Montréal, le premier ministre Jean Charest s’est empressé de contredire son ancien vis-à-vis du PLC. Loin d’être indifférents au sort du pays, les Québécois «veulent que le Canada fonctionne», a-t-il affirmé, ajoutant qu’il n’avait pas pris connaissance des propos de M. Ignatieff.

Le ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, a eu une réaction beaucoup plus virulente, accueillant l’analyse de l’ex-politicien fédéral avec un grand éclat de rire.

«Ça m’a fait rire quand j’ai vu ça. Ce n’est pas la première fois qu’il est un peu déconnecté de la réalité. (…) Je pense qu’il est un peu mélangé dans l’évolution historique de l’opinion des Québécois», a-t-il lancé au sujet de l’intellectuel de renom, professeur à l’Université de Toronto depuis son retrait de la politique.

Sans aller jusqu’à rire des commentaires de M. Ignatieff, le ministre de la Justice et leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a reproché à l’ex-aspirant premier ministre canadien de faire «une erreur de perspective», peut-être attribuable à l’amertume.

«Si M. Ignatieff avait obtenu les sièges que le NPD a eus au Québec, je ne suis pas sûr qu’il aurait fait le même constat. En fait, vous et moi savons qu’il n’aurait pas fait le même constat», a-t-il avancé.

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Le ministre de l’Environnement, Pierre Arcand, a pour sa part qualifié d’«égarement» les déclarations de M. Ignatieff.

À la sortie d’une réunion de son caucus, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a lui aussi questionné le jugement de M. Ignatieff. «Je ne commenterai pas les propos du professeur Ignatieff, qui n’a probablement pas mis les pieds au Québec depuis longtemps», a ironisé M. Legault.

«Un professeur qui dit qu’il sent que la souveraineté s’en vient, moi ce n’est ce que je sens et je n’ai pas vu de batailles dans les autobus à ce sujet dans les dernières semaines. Je pense que c’est déconnecté», a-t-il poursuivi.

Bien entendu, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a dit partager depuis longtemps les conclusions de M. Ignatieff pour lequel elle n’a eu que de bons mots.

«À mon point de vue, M. Ignatieff reste un intellectuel de haut niveau et ça me plaît de l’entendre donner son opinion», a-t-elle fait valoir, sourire aux lèvres.

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