Maupassant et les nouvelles jalousies

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Publié 02/12/2008 par Pierre Léon

Ce titre m’est venu en lisant un recueil passionnant, les Chroniques de Maupassant*, que vient de m’envoyer un vieil ami, auteur de cette anthologie, Henri Mitterand. Ce dernier, les Torontois le connaissent bien, puisqu’il a été professeur invité pendant de nombreuses années, à University College.

Je n’ai fait que commencer le livre, qui compte 1 768 pages, sur papier bible. Mais je voulais absolument vous en faire part, avant qu’il ne soit trop tard pour un cadeau de Noël! C’est un bel objet qui aurait facilement trouvé sa place dans la collection de La Pléiade. Mais il est publié dans celle du Livre de Poche, qui lui assurera une plus grande diffusion. Comme tous les livres d’Henri Mitterand, celui-ci est fait avec un soin remarquable. Chaque chronique est précédée d’un résumé analytique clair, d’une plume critique toute en finesse.

Chemin faisant, il commente brièvement le texte, ajoutant des notes aussi précises que précieuses pour les sociologues et les littéraires.

Maupassant a publié plus de deux cent cinquante chroniques dans les journaux de l’époque. Mitterand les a classées par thèmes, selon quatre grandes catégories: société et politique; moeurs du jour; flâneries et voyages; les lettres et les arts. C’est surtout dans les deux premières catégories que l’on voit des chroniques savoureuses, ressemblant à celle de journaux d’aujourd’hui et il n’est pas rare d’y retrouver la structure de la nouvelle des «contes» de Maupassant, avec une chute finale.

L’ensemble est d’un observateur au regard impitoyable, qui a l’objectivité d’un Zola et l’écriture d’un Flaubert. Il est aussi, bien souvent, amusé par l’extraordinaire galerie de personnages de son temps. J’ai particulièrement apprécié son humour à propos de la jalousie. Après avoir constaté que: «On a beaucoup discuté, depuis quelque temps, sur le quatrième acte de Pot Bouille. Cette manière simple et bourgeoise de considérer l’adultère a choqué force gens du monde qui le pratiquent pourtant plus simplement encore. On a trouvé peu noble qu’un mari, surprenant sa femme en flagrant délit, se contente de dire à l’amant: Moi, me battre avec vous? Jamais de la vie. Ma femme est votre maîtresse, gardez-là!»

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Mais un phénomène social considérable est survenu, une loi instaurant le divorce, inconnu auparavant. Et Maupassant de conclure: «[…] le divorce deviendra la sécurité des maris et la désolation des amants». Pour le libertin qu’il se targue d’être: «L’infidélité dans le mariage est naturelle, normale. La fidélité absolue de l’un ou de l’autre contractant ne peut provenir que d’une nature endormie, sans sensations, sans imaginations, sans rêves».

Le divorce a du bon, dit Maupassant mais que va devenir la littérature s’il n’y a plus de cocus? Les littérateurs vont devoir s’ingénier à imaginer de nouveaux dénouements. Il va falloir trouver des Othello, à la jalousie basée sur l’imagination, pour remplacer les George Dandin, trompés ouvertement. Et Maupassant constate que l’homme qui va se marier, après avoir bien profité de sa vie de garçon, exigera pourtant que celle qu’il va épouser soit «pure». L’idée même d’une simple amourette révolterait tout homme de cette époque. Cette attitude ferait rire les jeunes d’aujourd’hui, sauf «les gens bien» et un certain nombre de croyants.

Or si le divorce est permis, Maupassant se dit qu’il y aura des divorcés et des divorcées à marier. Et c’est là qu’il imagine de nouveaux ressorts dramatiques. Ainsi: «Les deux nouveaux mariés sont tranquillement assis au coin du feu. Ils parlent de la pluie et du beau temps. Elle dit: Duhamel, mon premier mari, avait un cor qui le tracassait beaucoup les soirs d’orage. Le nouvel époux devient sombre, un premier frisson le parcourt, ce qui le fait rêver à d’autres choses, etc.»

Puis Maupassant, qui s’amuse bien, invente une série de nouvelles situations possibles, toutes reposant sur «la jalousie du passé». «Certains maris seront obsédés par le souvenir du premier et ne cesseront de questionner leur femme, jour et nuit, sur ce qu’il faisait, sur ce qu’il disait, sur ce qu’il pensait […] Ils finiront même par l’appeler par son petit nom tout court: «Qu’est-ce qu’Octave aurait fait à ma place, en cette circonstance?»

Il y a pire: un mari, jaloux rétrospectivement, torturé par la crainte que son prédécesseur ait été trompé par sa femme! Celui qui veut bien épouser une femme qui a eu un mari mais pas un amant! Celui qui bat sa femme quand elle lui apprend qu’elle a trompé son ancien mari! Celui qui va tenter de savoir des choses en allant voir le premier mari! Etc., etc. De quoi faire la fortune des nouveaux vaudevilles, se dit notre auteur. Mais, comme le commente si bien Henri Mitterand, le misogyne qu’était Maupassant n’imagine pas une seconde de prendre pour exemple une héroïne qui aurait épousé un homme divorcé. Les choses ont bien changé! Mais peut-être pas tellement la jalousie!

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*Guy de Maupassant, Chroniques, Anthologie par Henri Mitterand, Paris, Le livre de Poche, 2008, 1758 pages, 28 euros.

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