Mais où sont les neiges d’antan?

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Publié 16/12/2008 par Pierre Léon

Je trouve, dans un des nombreux courriels dont nous comble Internet, toute une vidéo sur: «Comment as-tu pu survivre avant les années 80?». La suite évoque le manque de confort, d’hygiène et tout le reste, que ne peut guère imaginer la sorte d’extra terrestres que les jeunes d’aujourd’hui sont devenus, en Amérique du Nord comme en Europe. La personne qui a écrit le scénario sait sans doute qu’il y a bien pire encore dans de nombreux pays, dont la moitié n’ont ni eau courante ni sanitaires. Mais il lui semble difficile d’envisager la vie «primitive» que nous vivions dans un temps où il y avait pourtant déjà le train, l’avion et la radio.

Quand je suis entré à l’école primaire française de la commune rurale où je vivais, en 1931, l’électricité n’était encore pas installée dans la région. Mon père, qui était boulanger, pétrissait ses fournées à bras et s’il y en avait vraiment trop, il mettait en route un moteur «à essence de pétrole», pour le soulager un peu. Il pestait souvent contre cette fichue machine qui ne voulait partir qu’à la manivelle et qui s’arrêtait souvent. Il dormait peu, sur le sol dur du fournil, entre deux cuissons. Il tempêtait et jurait beaucoup mais les clients, venus de lointains villages, avaient toujours leur pain quotidien. Les ouvriers, qui n’étaient pas encore syndiqués, travaillaient durs eux aussi mais l’idée de grève les aurait bien fait rire. Quand il faisait jour, mon père allait porter le pain aux villages éloignés. Pour se distraire d’un ouvrage éreintant et jamais fini , les ouvriers faisaient des farces à la bonne et parfois un enfant. Mais tout finissait par s’arranger tant bien que mal.

Ma mère servait les miches odorantes à la boutique, surveillant la bonne (qu’on n’appelait pas encore «technicienne de surface» et la couturière) non encore dénommée «technicienne de matériel léger», qui raccommodait les vêtements usés ou déchirés, ainsi que la laveuse, qui lavait le linge bien sale de la maisonnée. Tout ce monde se retrouvait à table et avait une bonne fourchette. Ma mère se demandait toujours ce qu’elle pourrait bien cuisiner pour le prochain repas. Mais on faisait comme si on était toujours contents et le bon vin local aidait.

Pour aller en classe, j’avais trois kilomètres à faire à pied, matin et soir, sac au dos. Pour des jambes et un dos de cinq ans, c’était un bon exercice. Personne n’avait eu encore l’idée du ramassage scolaire même en carriole! On avait bon appétit quand on rentrait à la maison, malgré les pêches, poires, pommes ou raisins dont on se gavait en cours de route. C’était la liberté et le bonheur!

On courait tout le temps parce qu’on s’était attardé à marauder ou à se battre le long du chemin. On arrivait à la maison avec des bleus ou des écorchures qu’on lavait à l’eau sans antiseptique. (On faisait aussi du vélo sans casque ni genouillères et du foot avec nos grosses galoches).

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Il fallait vite se dépêcher de faire les devoirs parce qu’on n’avait que la grosse suspension avec sa lampe à pétrole fumeuse pour nous éclairer. Quel miracle quand on a eu l’électricité en 1936 ! Mon père a tout de suite fait installer une pompe dans le puits, ce qui supprimait la corvée consistant à tirer l’eau des 36 mètres de profondeur avec un seau, une corde et un treuil. La laveuse a été bien soulagée, moi aussi, et surtout les commis car on pouvait maintenant avoir l’eau du robinet pour faire la lessive, la toilette et le pain.

Avec l’arrivée de l’électricité, on a eu la TSF, ancêtre de la radio d’aujourd’hui. On ne pouvait capter que trois ou quatre postes, mais on était ravis. Il y avait toujours Tino Rossi et Maurice Chevalier. Le samedi soir, tout le monde se retrouvait au bal, dans l’arrière salle du bistrot. Les grands dansaient la valse, le fox-trot, la java et certains s’essayaient au tango. Les gamins couraient à travers les danseurs, faisaient des bêtises, attrapaient une paire de gifles et n’allaient jamais se plaindre. Les vieilles grands-mères surveillaient les filles, pendant que les hommes faisaient leur partie de cartes dans le café. On était bien loin des boîtes modernes et de la liberté des mœurs !

Quand on arrivait à l’école, il fallait se mettre en rang, en silence. La maîtresse commençait par l’inspection des mains et des ongles qu’il fallait avoir propres. Sinon, c’était la pompe de la cour, dont l’eau était toujours glacée et le gros savon, mélangé de sable, bien dur. En classe, on devait rester debout, sans bruit en attendant la permission de s’asseoir. On était conditionnés à accepter – pas toujours allègrement, mais c’était comme ça – que si on travaillait mal, on avait des mauvais points et si on s’était vraiment mal tenu, on avait droit au piquet et à une gifle. On en aurait reçu une autre si on s’était plaint à nos parents. Personne n’aurait imaginé le politiquement correct avec les maîtres et les parents au tribunal des enfants!

Les progrès technologiques et sociaux ont apporté la justice et le confort dans la vie moderne. Il serait de mauvais goût de regetter l’eau du puits, la jolie table de toilette en marbre, sa cuvette en porcelaine fleurie et tout le reste du folklore du temps jadis. Mais la vidéo d’Internet n’a sûrement pas manqué de donner un brin de nostalgie à ceux qui ont goûté des neiges d’antan.

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