L’université revisitée (deuxième partie)

La question sensible

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Publié 11/05/2010 par Nathalie Prézeau

La semaine dernière, on voyait qu’il y a maintenant une proportion de la population deux fois plus grande que dans les années 70 de jeunes qui sont à l’université, et que la note moyenne d’accès de ceux qui sont acceptés à l’université n’a cessé de monter depuis les années 80 pour atteindre 82% en 2003. Donc, plus de jeunes, plus performants, composeraient le corps étudiant d’aujourd’hui. Pourtant, une des questions préoccupant le plus les administrateurs universitaires d’aujourd’hui est la nécessité de trouver des façons d’éveiller et de maintenir l’intérêt les étudiants pour l’expérience universitaire. Si vous ne me croyez pas, googlez «l’implication des étudiants» pour voir. C’est tout de même curieux comme ces administrateurs et la majorité des parents d’ados se posent la même question.

Je ne sais pas pour vous, mais chez nous, la question sensible de la prochaine étape après l’école secondaire devient un sujet explosif, plus on s’approche de la 12e année. Nous ne sommes définitivement pas sur la même longueur d’onde mon fils et moi quant à «notre» motivation à trouver «sa» voie.

«Life is what happens when your mom is busy making other plans.» Cette adaptation de la célèbre citation de John Lennon est une perle de Jeremy, un ado et le personnage principal de ma BD préférée, Zits de Jerry Scott et Jim Borgman. (En passant, si vous êtes parent d’ado et ne connaissez pas, je vous recommande de prendre le temps de chercher Zits sur le site d’ArcaMax Publishing où l’on peut lire des extraits gratuits. Vous verrez que vous n’êtes pas seul sur votre bateau!)

Depuis que l’Ontario a laissé tomber la 13e année (on se rappelle la double cohorte en 2003), l’ensemble des ados dans le Canada hors Québec est moins mature d’une année pour prendre une décision de carrière que je ne l’étais quand j’ai appliqué à l’université après mes deux ans de CÉGEP.

Je déplore cette année manquante, mais, bonne joueuse, je tente tout de même de motiver mon jeune à mieux performer au secondaire afin de mettre plus de chance de son côté (pour être accepté dans une branche élusive qu’il n’a toujours pas choisie).

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Or, voilà qu’en poussant mes recherches, j’apprends que nombre des bons étudiants acceptés à l’université y arrivent mal préparés et en ressortent avec une idée tout aussi nébuleuse de ce qu’ils veulent faire que mon fils de 17 ans. Bref, le problème de motivation ne s’envole pas nécessairement dès que l’étape mythique de l’acceptation à l’université est franchie. Alors pourquoi est-ce que je pousse exactement?

Ils obtinrent leur diplôme universitaire, vécurent heureux et eurent 1.5 enfant

À en juger par les médias, il n’y en a que pour l’université. C’est le fantasme de la majorité des parents que de réussir à envoyer leurs rejetons à l’université afin de leur offrir un meilleur avenir. Les faits sont là, diront-ils. Les économistes soutiennent que plus de 60% des nouveaux emplois requerront sous peu un diplôme universitaire.

On parle ici des nouveaux emplois, mais il est clair que le grand public comprend que 60% de tous les emplois sur le marché du travail requerront un diplôme. Ce qui va de pair avec son estimé du pourcentage de jeunes de 18-21 ans qui fréquentent l’université. Quand on demande au public d’évaluer ce pourcentage, il pense 50%. Pourtant, selon Statistique Canada, en 2007, seulement 23-24% des jeunes de 18-21 ans étaient à l’université.

En 2007, seulement 20% de l’ensemble des travailleurs possédaient au moins un baccalauréat (dans les années 70, c’était 5% des travailleurs qui avaient un diplôme universitaire).

Chose certaine, une proportion croissante de la population obtient une éducation universitaire et le créneau des emplois requérant un diplôme universitaire est celui qui croît le plus rapidement sur le marché du travail.

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Question d’argent

Autre motivation des parents de fournir à leurs enfants une éducation universitaire: elle leur assurera un beau salaire «dans les six chiffres».

Dans les faits, s’il est vrai que de plus en plus de gens décrochent ce genre de salaire, selon Statistique Canada, le pourcentage de travailleurs à temps plein faisant 100 000 $ et plus (en dollars constants) est passé de 3.4% en 1980 à 6.5% en 2005.

Toujours selon Statscan, il y aurait une différence de 25 000 $ par année entre le salaire d’un universitaire et celui d’une personne ayant moins que ça. Mais il s’agit d’une moyenne! Toutes les carrières universitaires ne sont pas également lucratives (plusieurs le sont même moins que bien d’autres professions non-universitaires). De plus, il n’y a pas de garantie que notre progéniture sera attirée par les carrières les plus lucratives. Ni que la carrière lucrative d’aujourd’hui sera celle de demain.

Manifestement, nos aspirations s’appuieraient sur des espoirs plutôt que des faits.

Le syndrome de la ligne droite

Finalement, en y pensant comme il faut, j’ai réalisé qu’une grande partie de mon stress face à l’avenir de mes enfants provenait de ma croyance que j’aurai bien fait «ma job» de parent si je réussis à les mener au bout de leur éducation (de préférence supérieure) en ligne droite. Dans les faits, comment est-ce que ça se passe?

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Voici quelques chiffres trouvés à droite et à gauche qui m’ont aidée à me dresser un tableau de la réalité. Notez qu’il s’agit de moyennes pour le Canada ou l’Ontario. Les données varient évidemment d’une école ou d’une province à une autre.

• Environ 75% des jeunes au Canada passent leur diplôme secondaire du premier coup; un autre 10% est récupéré un peu plus tard quand ils retournent sur les bancs d’école.

• Selon une étude du gouvernement de l’Ontario analysant l’impact de la double cohorte de 2003, 70% des jeunes de 12e et 13e années ont gradué dans le temps prévu cette année-là. C’est donc dire que 30% des étudiants n’ont pas gradué. On y lit aussi que 33% ont fait leur demande pour entrer à l’université et 19% pour entrer dans un collège.

• Sur le site du Conseil des universités de l’Ontario (Council of Ontario Universities, pas vu de version française) j’ai lu dans un document offrant des statistiques pour 2008 que sur les 103 178 étudiants ontariens ayant fait leur demande d’entrée à l’université en 2003, environ 70 000 ont été acceptés. En 2008, sur environ 85 000 étudiants aspirants, 60 000 étaient reçus.

• Donc, environ 70% des étudiants du secondaire qui font leur demande sont acceptés (bien que pas nécessairement dans leur premier choix). Quant au taux de diplomation des étudiants qui accèdent à l’université, Statistique Canada dit qu’en moyenne, en 2007, 70% des étudiants terminaient leurs études universitaires au Canada. (Encore une fois, ce sont des moyennes! Selon l’édition spéciale sur les universités du magazine Maclean’s de novembre 2009, le taux de réussite varie beaucoup d’une université à l’autre, allant de 43.6% à 83.9%.

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• De plus, il faut savoir qu’il s’agit d’étudiants ayant complété leur bac en dedans de sept ans. Il semblerait que près de 60% des étudiants canadiens terminent maintenant leur bac en cinq ans plutôt de quatre (aux États-Unis, ce serait six ans). Il faut dire qu’un plus grand nombre d’étudiants travaillent à temps plein tout en poursuivant leurs études. Alors qu’un jeune des années 80 pouvait travailler 10 à 11 semaines durant l’été pour amasser les fonds pour payer sa scolarité, il en faut maintenant 19 à un étudiant des années 2000).

Si mes calculs sont bons, quand je tiens compte de toutes ces données, moins de 20% des jeunes faisant partie de la cohorte de mon fils (qui terminera la 12e année l’an prochain) feront des études universitaires qu’ils termineront d’un seul jet. Encore moins se rendront à la maîtrise. Bref, pour la ligne droite, on repassera!

Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire pour les parents?

Peut-être serait-il temps d’arrêter de focusser sur la ligne droite. Et d’avoir le courage d’envisager un parcours un peu plus en zigzag pour nos enfants. Afin de bien les appuyer, il nous faut en tant que parents l’ouverture d’esprit nécessaire pour les laisser explorer les options disponibles, et pour considérer les plans B, si leurs espoirs sont déçus.

Mais d’abord et avant tout, il nous faut les aider à identifier le domaine qui les motivera suffisamment pour franchir toutes les étapes de leur apprentissage menant à une place dans laquelle ils s’épanouiront sur le marché du travail.

Plus facile à dire qu’à faire, mais il y a de l’espoir. La semaine prochaine, je vous parlerai de Jeff Rybak, un étudiant torontois terminant présentement son droit à l’Université de Toronto, qui a écrit un livre offrant un angle très rafraîchissant sur le sujet de la motivation des jeunes, intitulé What’s Wrong With University (And How To Make It Work For You Anyway).

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Bien qu’écrit par un universitaire pour les universitaires, c’est le genre de livre dont tous les étudiants de la 10e à la 12e devraient discuter dans leurs séances d’orientation au secondaire. C’est également l’ouvrage que les parents souffrant du syndrome de la ligne droite devraient lire afin de se convaincre d’ouvrir leurs horizons.

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