L’Ontario veut mettre fin aux «poursuites bâillon»

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Publié 29/06/2010 par Vincent Muller

«Il est difficile d’identifier ce type de poursuite», expliquait Mayo Moran, doyenne de la faculté de Droit de l’Université de Toronto et présidente du panel de trois juristes chargé de conseiller le Procureur général afin qu’un projet de loi anti-SLAPP (Strategic Litigation Against Public Participation) puisse être mis au point. Plus connu en français sous le terme de «poursuite bâillon», ce type de procès est en général porté par de grandes entreprises contre des groupes ou associations de citoyens dénonçant leurs actions au nom de l’intérêt général.

Lorsque des citoyens se mobilisent pour soulever un problème d’intérêt général et condamnent publiquement les actions de grandes corporations ou de promoteurs, ces derniers peuvent assez facilement intenter un procès à ces groupes afin de les faire taire.

Un procès étant long et coûteux, les grandes corporations sont avantagées par les moyens importants dont elles disposent.

«Il est facile de jouer avec la Loi et de la tirer à son avantage», explique Mayo Moran spécialiste des questions relatives à la liberté d’expression. «Même si les groupes de citoyens ont des avocats bénévoles, les grandes entreprises peuvent s’offrir les services d’avocats très compétents et réduire ces groupes au silence», continue-t-elle.

Difficiles à identifier

Les lois anti-Slapp, qui existent dans de nombreux États américains ainsi qu’au Québec, visent donc à empêcher ce genre de pratique. Cependant, elles restent difficiles à identifier.

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N’ayant pas d’idée précise concernant la fréquence des poursuites bâillon en Ontario, la présidente du panel cite en exemple une poursuite de ce type ayant porté ses fruits. À la fin des années 90, plusieurs communes de l’Est de l’Ontario utilisaient un produit chimique, le Dombind, pour nettoyer les routes. Ce produit contenait, entre autres, de la dioxine, composant considéré comme très dangereux pour la santé publique par l’Agence de protection environnementale des États-Unis.

Des résidents et organisations comme World Wildlife Federation se sont mobilisés contre l’utilisation de ce produit et ont mené une importante campagne auprès des médias. Menacés de poursuite pour diffamation par Norampac, l’entreprise fabriquant le Dombind, la plupart d’entre eux ont stoppé leurs actions.

Différences Québec-Ontario

Chaque État ou province a ses particularités. Le Québec a passé une loi similaire en juin 2009, entrée en vigueur en janvier dernier, «mais ils sont toujours en train de l’adapter», précise Mayo Moran «les lois qui existent dans l’État de New York et en Californie sont très différentes».

«Pour l’instant notre travail (avec les avocats Brian MacLeod Rogers et Peter Downard) consiste à recueillir des informations sur les législations qui existent dans différentes juridictions, les analyser et évaluer ce qui peut être applicable ici, en Ontario.»

«On doit également entendre différents groupes d’intérêts généraux. Tout le monde peut participer aux discussions, mais nous possédons déjà une liste de groupes précis que l’on va contacter. Des avocats familiers de ce type de procès, ainsi que la ville, parfois prise entre deux feux entre les promoteurs et les groupes d’intérêts, seront également consultés.

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En Ontario, comparé au Québec, il est particulièrement compliqué, pour les groupes de citoyens dénonçant un problème, de résister contre les grandes corporations, selon Mayo Moran.

«En Ontario les juges ne veulent pas, ou sont très réticents à déclarer un non-lieu à une plainte sans avoir entendu tous les arguments, ce qui est au bénéfice des grandes corporations ou promoteurs, car cela signifie que les groupes doivent aller en court, ce qui est cher et prend du temps. Au Québec, la culture judiciaire fait que les juges sont plus disposés à dire «on ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit là».

De plus, la Loi au Québec rend possibles les plaintes pour atteinte à la liberté d’expression contre des personnes ou entreprises, ce qui n’est pas possible en Ontario. «Ici on peut se plaindre d’une limitation de la liberté d’expression par l’État, mais pas par une autre personne ou une entreprise.»

Liberté d’expression

Et cela prend toute son importance dans le contexte de poursuites bâillon puisque les groupes d’intérêt public peuvent se plaindre légalement qu’une corporation va contre leur liberté d’expression.

En Ontario ceci n’est pas possible, ce qui, là encore, est à l’avantage des corporations qui ne peuvent être poursuivies par ces groupes, mais qui elles peuvent en revanche leur intenter un procès pour diffamation.

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Autant de détails qui seront soulignés par le panel dans le rapport qui sera remis fin septembre.

Le ministère du Procureur général est en train de travailler sur un site Internet afin que le public puisse participer au débat.

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